TGI PARIS, 22 mars 2001 TGI BOURGES, 17 juin 1999

Dans le cadre d’une assurance comportant une garantie en cas de vie au profit du souscripteur et une garantie en cas de décès au profit d’un bénéficiaire déterminé, les droits du bénéficiaire n’ont été stipulés qu’en cas de décès, ce dont il résulte que le souscripteur a entendu se réserver le libre exercice du droit de retrait des fonds, et qu’en l’absence de clause restrictive de ce droit, le souscripteur a conservé le pouvoir d’exercer seul la faculté de rachat, sans que l’acceptation du bénéficiaire désigné puisse avoir pour effet d’y faire obstacle.

Les droits que le bénéficiaire acceptant est susceptible d’invoquer, ne pouvant produire leurs effets qu’au décès de l’assuré, il n’y a pas lieu de faire droit à une demande d’annulation de la stipulation qui impliquerait, si elle était accueillie, des effets équivalents à ceux d’une révocation du bénéficiaire alors que celui-ci a déclaré accepter les stipulations faites à son profit (1er jugement).

L’article L.132-9 du Code des assurances interdit au souscripteur d’une assurance sur la vie de révoquer la stipulation en vertu de laquelle le bénéfice de l’assurance est attribué à un bénéficiaire déterminé dès lors que celui-ci l’a acceptée expressément ou tacitement. Si la demande de rachat, en exécution de laquelle le souscripteur d’une police d’assurance sur la vie obtient de l’assureur le versement immédiat du montant de sa créance, par un remboursement qui met fin au contrat, constitue une révocation de la désignation du bénéficiaire, il n’en demeure pas moins qu’une telle conséquence ne peut concerner que le rachat du montant des primes versées exigibles en vertu du contrat d’assurance. A la date de notification de l’acceptation du tiers, l’entreprise d’assurance devait vérifier que le souscripteur avait obtenu le consentement du bénéficiaire acceptant pour tout rachat qui aurait entraîné un remboursement ne laissant plus subsister le montant de la prime unique, augmentée des intérêts. En procédant aux remboursements partiels, l’entreprise d’assurance n’a commis aucune faute et n’a pas méconnu le principe édicté par l’article L.132-9 puisque à la date du décès de l’assuré, le compte laissait apparaître une épargne acquise supérieure au montant de la prime unique. En effectuant des retraits partiels, le souscripteur n’a donc pas révoqué la stipulation en vertu de laquelle, le bénéfice de l’assurance souscrite avait été attribué au bénéficiaire, mais il a seulement usé de la libre utilisation de son épargne telle que le prévoit le fonctionnement contractuel du compte à versements et retraits libres (2ème jugement).

Note de M. Jean BIGOT :

Est-ce une nouvelle tempête qui s’annonce, après celle – médiatique – soulevée par l’affaire Leroux ?

Cette fois, il ne s’agit plus de la requalification de l’assurance vie en contrat d’épargne ou de capitalisation, mais de l’incidence de l’acceptation du bénéficiaire du capital décès sur l’exercice du droit de rachat total ou partiel du souscripteur sur le capital en cas de vie. Le débat ancien est connu (la majorité de la doctrine se prononce contre la possibilité de rachat dans ce cas de figure). Il a été récemment relancé.

A notre connaissance, la question n’a pas encore été clairement et directement posée à la Cour de cassation, même si celle-ci a énoncé – ce qui peut constituer une indication – que « la demande de rachat, en exécution de laquelle le souscripteur obtient de l’assureur le versement immédiat du montant de sa créance, par un remboursement qui met fin au contrat, constitue une révocation de la désignation du bénéficiaire » (Cass. Com., 25 octobre 1994) et « qu’il résulte des articles L.132-8, L.132-9, L.132-12 et L.132-14 du Code des assurances que, tant que le contrat n’est pas dénoncé, le souscripteur est seulement investi, sauf acceptation du bénéficiaire désigné, du droit personnel de faire racheter le contrat et de désigner ou modifier le bénéficiaire de la prestation » (Cass. 1ère civ. 28 avril 1998).

Les décisions rapportées relancent le débat. Elles posent notamment deux questions : l’acceptation du bénéficiaire bloque-t-elle la faculté de rachat total ou partiel ? Dans l’affirmative, peut-on éviter contractuellement ce blocage ?

En l’occurrence, deux dispositions légales, l’une et l’autre impératives, paraissent s’opposer : la première (C. assur., art. L.132-9, en application de C. civ., art. 1121), selon laquelle le souscripteur ne peut plus révoquer la désignation du bénéficiaire après que celui-ci l’ait acceptée ; la seconde (C. assur., art. L.132-21), imposant à l’assureur l’obligation de faire suite à la demande de rachat du souscripteur.

La thèse, brillamment défendue par J. KULLMANN de la possibilité d’un aménagement contractuel de l’exercice du rachat, part de l’idée incontestable que dans le cadre d’une stipulation pour autrui, le fondement des droits du bénéficiaire est purement contractuel.

La doctrine le confirme : « Ce tiers bénéficiaire acquiert un droit de créance dont l’étendue dépend du contrat conclu entre le promettant et le stipulant » (J. GHESTIN). Dès lors, en acceptant la stipulation, le bénéficiaire accepte le contrat tel qu’il a été conclu. C’est ce qu’exprime l’article L.112-6 du Code des assurances, disposition de portée générale, applicable aux assurances sur la vie, énonçant que : « L’assureur peut opposer (…) au tiers qui (…) invoque le bénéfice (du contrat) les exceptions opposables au souscripteur… ». « Le droit du bénéficiaire en cas de décès peut donc nécessairement être analysé en fonction de toutes les clauses et règles légales susceptibles de disposer d’une incidence à son égard, notamment de celles qui ont une influence sur la fin de l’assurance en cas de vie, dont au premier chef, le droit au rachat ». (J. KULLMANN, op. Cit.).

En faisant produire effet à une clause contractuelle, acceptée par le bénéficiaire, prévoyant que le souscripteur conserverait la disposition de son épargne, même en cas d’acceptation du bénéficiaire :

– on respecterait la volonté du disposant,
– sans surprendre pour autant le bénéficiaire acceptant (dûment informé) auquel cette clause serait opposable, tant en vertu des règles de la stipulation pour autrui que de l’article L.112-6 du Code des assurances.

Source : JCPN 2002 n° 10 page 402