L’usucapion par les personnes publiques.
Note de M. Philippe YOLKA :
La relation des personnes publiques au temps est généralement abordée, s’agissant de leurs biens, sous un seul angle : savoir, l’impossibilité pour les tiers d’acquérir par voie de prescription les dépendances du domaine public (CGPPP, art. L. 3111-1). Les personnes publiques n’échappent pas à la prescription acquisitive en tant que telles, mais uniquement à raison du statut domanial de certains biens.
En sens inverse, peuvent-elles acquérir par prescription dans les conditions du droit civil ?
Classiquement, la réponse était positive, qu’il s’agisse de prescrire contre des personnes privées ou d’autres collectivités publiques. Ceci résulte d’une jurisprudence judicaire – le juge administratif décline, d’ordinaire, sa compétence en la matière (CE, 18 avr. 1958) – constante depuis le XIXe siècle (par ex., Cass. civ., 4 déc. 1888 – Cass. 3e civ., 29 févr. 1968 – Cass. 3e civ., 16 oct. 1991 – CA Toulouse, 5 mai 2003 – CA Riom, 18 mai 2006).
Sans doute ces arrêts avaient-ils été rendu alors qu’était en vigueur l’ancien article 2227 du Code civil (« L’État, les établissements publics et les communes sont soumis aux mêmes prescriptions que les particuliers, et peuvent également les opposer« ), lequel a fâcheusement disparu par l’effet de la loi du 17 juin 2008.
Mais les auteurs sont unanimes pour considérer que cette réforme de la prescription en matière civile n’a pas remis en cause la possibilité pour les personnes publiques de se prévaloir de la prescription acquisitive.
C’est dire le caractère déroutant d’une récente réponse ministérielle, considérant que les communes ne sauraient acquérir la propriété immobilière par usucapion, tout simplement parce que cette possibilité n’est pas prévue par le Code général de la propriété des personnes publiques (CGPPP).
Il s’agit d’une lecture des règles en vigueur particulièrement contestable.
D’une part, la partie législative du Code du domaine de l’État ne prévoyait pas davantage l’usucapion par les personnes publiques (l’entrée en vigueur du CGPPP n’a, de ce point de vue, strictement rien changé) ; à suivre le ministre de l’Intérieur, il faudrait en déduire que la prescription acquisitive était déjà impossible avant 2006 (ce que dément formellement la jurisprudence précitée).
D’autre part, à considérer qu’il n’y a de procédés d’acquisition que ceux prévus par le CGPPP, l’on en arriverait à cette conclusion – pour s’en tenir à quelques exemples – que les personnes publiques ne peuvent devenir propriétaires en utilisant le crédit-bail ou la VEFA ; il est inutile d’insister sur l’incongruité d’une telle déduction.
Rappelons que la jurisprudence la plus récente admet l’usucapion par les personnes publiques (par ex., Cass. 3e civ., 4 janv. 2011 ,- CA Lyon, 1er mars 2011).