ORDONNANCE n° 2006-346 du 23 Mars 2006

L’ordonnance relative aux sûretés a été publiée au Journal Officiel du 24 mars 2006 ; elle regroupe l’ensemble de la matière dans le livre quatrième du Code civil.

Note de M. Gérard NOTTE :

1. Sûretés personnelles

La loi d’habilitation du 26 juillet 2005 n’ayant pas autorisé le Gouvernement à légiférer par ordonnance en matière de cautionnement, ces dispositions ont pour seul objet de transférer les textes relatifs au cautionnement qui forment le titre XIV du livre III de l’actuel Code civil dans le livre IV du même code. Les articles 2011 à 2043 sont repris in extenso et deviennent respectivement les articles 2288 à 2320.

Par ailleurs, sont introduites dans le Code civil des dispositions relatives :

– à la garantie autonome, C. civ., art. 2321 : « La garantie autonome est l’engagement par lequel le garant s’oblige, en considération d’une obligation souscrite par un tiers, à verser une somme soit à première demande soit suivant des modalités convenues. Le garant n’est pas tenu en cas d’abus ou de fraude manifestes du bénéficiaire ou de collusion de celui-ci avec le donneur d’ordre. Le garant ne peut opposer aucune exception tenant à l’obligation garantie. Sauf convention contraire, cette sûreté ne suit pas l’obligation garantie« 

– et à la lettre d’intention, C. civ., art. 2322 : « la lettre d’intention est l’engagement de faire ou de ne pas faire ayant pour objet le soutien apporté à un débiteur dans l’exécution de son obligation envers son créancier« .

2- Sûretés réelles mobilières

Outre des dispositions consacrées aux clauses de réserve de propriété (C. civ., art. 2367 à 2372), sont essentiellement abordés le gage et le nantissement de meubles incorporels.

A.- Gage

Actuellement (C. civ., art. 2076), la constitution d’une convention de gage suppose la remise de la chose gagée par le débiteur entre les mains de son créancier.

L’ordonnance prévoit la mise en place d’un dispositif plus souple permettant aux parties de constituer, selon leur volonté ou leur situation, un gage avec ou sans dépossession (C. civ., art. 2333 s.). Il nécessite l’établissement d’un écrit (C. civ., art. 2336 : le gage est « parfait par l’établissement d’un écrit…« ). La chose future ne pourra cependant pas être celle qui n’appartient pas encore au constituant puisque l’article 2335 précise que le gage portant sur la chose d’autrui est nul.

L’article 2334 reprend les dispositions de l’actuel article 2077 du Code civil. Il est cependant ajouté que lorsque le gage est consenti par un tiers, « ‘le créancier n’a d’action que sur le bien affecté en garantie » de telle sorte que le tiers ne prend aucun engagement personnel. Il est ainsi mis fin aux difficultés d’interprétation suscitées par la notion de « cautionnement réel » en jurisprudence. Cependant, afin d’empêcher qu’un époux, marié sous le régime de la communauté légale, puisse, sans l’accord de son conjoint, mettre un bien commun en gage pour garantir la dette d’un tiers, l’article 50 de l’ordonnance complète l’article 1422 du Code civil en y ajoutant un alinéa disposant que les époux « ne peuvent non plus l’un sans l’autre, affecter (un bien de la communauté) à la garantie de la dette d’un tiers« .

Lorsque le gage est constitué sans dépossession, le bien reste entre les mains du débiteur et les tiers sont informés de la sûreté par la voie d’une publicité dont les modalités seront précisées dans un décret d’application à paraître.

A l’inverse, si les parties souhaitent préserver l’anonymat de leur transaction ou qu’elles estiment que la publicité n’est pas nécessaire, elles peuvent décider de remettre le bien gagé entre les mains du créancier ou d’un tiers convenu.

Pacte commissoire. Le pacte commissoire est une convention par laquelle les parties décident lors de la constitution du gage, que le créancier deviendra propriétaire de la chose gagée ou hypothéquée en cas de défaut de remboursement de sa dette par le débiteur. Il est en principe prohibé en matière de gage (C. civ., art. 2078).

Le risque pour le débiteur de voir perdre la propriété de son bien pour une créance inférieure à sa valeur peut être évité en exigeant une estimation préalable de la valeur du bien gagé par voie d’expertise au jour du transfert de propriété.

Le principe retenu est l’abandon de la prohibition du pacte commissoire en matière de gage. Toutefois, afin de respecter l’équilibre des intérêts en présence, deux mesures sont posées en faveur du débiteur :

– d’une part, la valeur du bien remis en gage devra faire l’objet d’une estimation au jour du transfert de propriété au créancier, soit par expertise, soit par référence à sa cotation officielle sur un marché organisé au sens du Code monétaire et financier. Aussi, est-il expressément prévu que, si la valeur du bien excède la dette garantie, le créancier doit verser au débiteur une somme égale à la différence. La réalisation de la sûreté ne pourra donc être une source d’enrichissement du créancier, mais devra être cantonnée au seul remboursement de sa créance.

– d’autre part, afin de préserver la protection des consommateurs, réputés moins avertis, le pacte commissoire ne
pourra être conclu dans le cadre d’une opération de crédit mobilier à la consommation.

B. – Nantissement de meubles incorporels

Après un article général définissant le nantissement (art. 2355), l’ordonnance ne traite plus spécifiquement que du nantissement de créance.

Définition et assiette du nantissement de créance. L’appellation « nantissement » est désormais limitée à l’affectation en garantie de biens incorporels.

Le nantissement de créance doit être conclu « à peine de nullité » par écrit. Il peut servir à garantir des créances futures mais aussi porter sur des créances futures. Dans ces hypothèses, l’acte doit permettre leur individualisation ou à tout le moins contenir des éléments (dont l’énumération n’est ni exhaustive ni cumulative dans le texte) qui permettent cette individualisation (art. 2356). Lorsque le nantissement a pour objet une créance future, le créancier « acquiert un droit sur la créance dès la naissance de celle-ci » (art. 2357). La créance naîtra donc affectée du nantissement.

Les articles 2358 et 2359 autorisent la constitution d’un nantissement pour un temps déterminé et ajoutent qu’il s’étend aux accessoires de la créance. L’article 2360 précise le régime du nantissement de compte.

Les règles relatives à l’opposabilité du nantissement sont fixées aux articles 2361 et 2362 : le nantissement devient opposable aux tiers à la date de l’acte. Cette opposabilité aux tiers n’est donc plus subordonnée à la notification préalable de l’acte au débiteur de la créance nantie.

En revanche, pour être opposable à ce dernier, le nantissement doit lui être notifié. Il convient de noter sur ce point que seule une notification est exigée et non plus une signification. Toutefois, le texte adopté ne fait pas obstacle au recours à une signification si les parties le souhaitent.

Enfin, si le créancier a choisi de notifier le nantissement au débiteur de la créance nantie, ce dernier doit effectuer le paiement entre ses mains (art. 2363) même si la créance nantie vient à échéance avant la créance garantie. Dans cette hypothèse, l’article 2364, alinéa 2, précise que le créancier devra conserver les sommes payées en garantie sur un compte ouvert auprès d’un établissement habilité à les recevoir à charge pour lui de les restituer si l’obligation garantie est exécutée.

Réalisation du nantissement. En cas de défaillance du constituant, le créancier peut opter pour l’attribution de la créance, soit par voie judiciaire, soit par la voie de la convention (pacte commissoire) ou encore attendre l’échéance de la créance donnée en nantissement (art. 2365). La vente judiciaire n’est plus prévue, ce qui constitue une simplification attendue.

En tout état de cause, s’il a été payé au créancier nanti une somme supérieure à la dette garantie, il doit la différence au constituant (art. 2366).

3. Sûretés réelles immobilières

L’ordonnance simplifie le régime de l’hypothèque, institue l’hypothèque rechargeable et le prêt viager hypothécaire.

A.- Simplification de l’hypothèque

Simplification de la mainlevée de l’inscription hypothécaire. La mainlevée pourra désormais être opérée par la rédaction d’un acte notarié certifiant que le créancier a, à la demande du débiteur, donné son accord à la radiation de l’inscription. Il ne sera plus nécessaire que les parties intéressées comparaissent devant le notaire ; celui-ci voit ainsi son rôle accru dans cette opération qui libère l’immeuble grevé de l’inscription. Le contrôle du conservateur des hypothèques est désormais limité par l’ordonnance à un contrôle formel.

Admission de nouveaux modes de réalisation de l’hypothèque. A côté du pacte commissoire, l’ordonnance reconnaît au créancier le droit de demander au juge l’attribution de l’immeuble hypothéqué en cas de défaillance de son débiteur.

Ainsi, le créancier hypothécaire qui n’est pas payé, n’est plus obligé pour réaliser sa sûreté de procéder à la saisie et la vente forcée de l’immeuble selon les procédures civiles d’exécution, il dispose d’autres moyens pour être désintéressé. Toutefois, ces nouveaux modes de réalisation sont exclus lorsque l’immeuble hypothéqué constitue la résidence principale du débiteur.

De plus, l’immeuble doit être estimé dans tous les cas par un expert afin d’évaluer l’immeuble de manière optimale.

Consécration de la purge amiable. L’hypothèque a cette particularité d’offrir au créancier hypothécaire un droit de suite qui lui permet de saisir le bien entre les mains de toute personne, de le « suivre » pour se faire payer.

En cas de vente d’un immeuble hypothéqué, le Code civil a prévu une procédure appelée « purge » qui permet, à certaines conditions, au tiers acquéreur de libérer l’immeuble acquis de l’hypothèque.

Toutefois, il est apparu préférable de prévoir en amont une procédure dite de purge amiable afin de permettre au candidat à l’acquisition d’acheter un immeuble déjà libre de toute hypothèque. L’ordonnance donne un fondement légal à cette pratique au terme de laquelle le débiteur qui cède son immeuble convient avec ses créanciers d’affecter le prix de la cession à leur désintéressement.

Ce paiement a alors pour effet de purger l’immeuble du droit de suite.

Durée maximale des inscriptions. L’ordonnance prévoit un allongement de la durée maximale des inscriptions à cinquante ans (au lieu de trente-cinq).

Pacte commissoire. Le pacte commissoire ne pourra pas être conclu lorsque l’immeuble hypothéqué constitue la résidence principale du débiteur (C. civ., art. 2459).

B.- Hypothèque rechargeable

L’hypothèque rechargeable constitue l’une des principales innovations de l’ordonnance sur les sûretés. L’article 2422 du Code civil dispose ainsi : « L’hypothèque peut être ultérieurement affectée à la garantie de créances autres que celles mentionnées par l’acte constitutif, pourvu que celui-ci le prévoie expressément« .

L’hypothèque rechargeable permettra à un débiteur qui a déjà constitué une hypothèque de ne pas avoir à en constituer une nouvelle pour garantir soit le même créancier soit un autre. Concrètement, l’emprunteur pourra donc s’adresser à une autre banque que celle qui lui a accordé le prêt initial.

Les créanciers ultérieurs qui bénéficieront d’une convention de rechargement prendront rang à la date de l’inscription initiale, dès lors qu’ils auront publié cette convention sous forme de mention en marge à la conservation des hypothèques.

Fonctionnement. Les hypothèques ne deviennent pas toutes automatiquement rechargeables. Il faudra, en effet, que cette possibilité soit prévue par le débiteur et le créancier originaire dans la convention de constitution de l’hypothèque, cette convention supposant déjà actuellement l’intervention obligatoire d’un notaire. Cette faculté de rechargement sera portée à la connaissance des tiers par le biais de la publicité foncière.

L’hypothèque pourra être rechargée dans la limite d’un montant maximal qui sera fixé dans la convention constitutive de l’hypothèque. Ce montant ne pourra pas varier en fonction de la hausse de la valeur de l’immeuble.

Il est prévu que toute convention de rechargement soit passée par acte notarié.

Protection des emprunteurs. En matière de crédit à la consommation, un dispositif de protection de l’emprunteur est prévu dans le Code de la consommation (C. consom., art. L. 313-14-1). Il est notamment exclu de « recharger » une hypothèque pour garantir un « crédit revolving » (C. consom., art. L. 313-14).

L’article 43 de l’ordonnance complète le Code de commerce par un article L. 526-5 qui rend applicables les articles L. 313-14 à L. 313-14-2 du Code de la consommation aux petits entrepreneurs dans la mesure où ils se trouvent dans une situation de faiblesse assimilable à celle du consommateur stricto sensu. Ainsi toute personne physique immatriculée à un registre de publicité légale à caractère professionnel, toute personne physique exerçant une activité professionnelle ou indépendante ainsi que le gérant associé unique d’une Société à Responsabilité Limitée (SARL) bénéficient des dispositions protectrices du Code de la consommation lorsqu’ils concluent un prêt garanti par une hypothèque rechargeable inscrite sur l’immeuble où l’intéressé a fixé sa résidence principale.

Entrée en vigueur. Les dispositions de l’ordonnance relatives à l’hypothèque rechargeable entreront en vigueur immédiatement après sa publication au Journal Officiel.

C.- Prêt viager hypothécaire

Le prêt viager hypothécaire est introduit en droit français (C. consom., art. L. 314-1, al. 1.) :

« Le prêt viager hypothécaire est un contrat par lequel un établissement de crédit ou un établissement financier consent à une personne physique un prêt sous forme d’un capital ou de versements périodiques, garanti par une hypothèque constituée sur un bien immobilier de l’emprunteur à usage exclusif d’habitation et dont le remboursement – principal et intérêts – ne peut être exigé qu’au décès de l’emprunteur ou lors de l’aliénation ou du démembrement de la propriété de l’immeuble hypothéqué s’ils surviennent avant le décès ».

Il permettra à un propriétaire d’un bien immobilier d’obtenir des liquidités sans avoir à le vendre, le prêteur se remboursant après le décès de l’emprunteur sur le bien, objet de l’hypothèque.

En pratique, le bénéficiaire obtiendra une somme d’argent versée sous forme de capital ou de versements périodiques. Le prêt n’est remboursable qu’au décès ou en cas de cession du bien et dans la limite de la valeur de l’immeuble à l’échéance du terme.

Le contrat de prêt fait l’objet d’une offre de prêt contenant des mentions informatives obligatoires, qui ne peut être acceptée qu’au terme d’un délai de 10 jours. Ce mécanisme permet à l’emprunteur, en complément du devoir de conseil du notaire de mesurer l’étendue de son engagement.

Il est également prévu le recours à un expert, choisi d’un commun accord par les parties ou désigné sur requête, s’il existe un différend sur l’estimation de l’immeuble.

Par ailleurs, l’attribution judiciaire du bien en paiement et la possibilité de recourir au pacte commissoire évitent au prêteur les lourdeurs des modes classiques de réalisation des sûretés.

Entrée en vigueur. La mise en place du prêt viager hypothécaire suppose une modification du décret de 1955 relatif à la publicité foncière, qui fera l’objet d’un décret à venir.

Source : JCP éd. Ent. et aff., 13/06, 158