Etude de Monsieur Thomas GROUD

Il résulte de la jurisprudence de la Cour de cassation que la publication d’une mutation entraîne l’arrêt effectif du cours des inscriptions du chef de l’ancien propriétaire. Ainsi, un créancier ne pourrait prendre une inscription hypothécaire sur un bien aliéné par son débiteur. Approuvée par une doctrine majoritaire, cette solution n’est toutefois pas exempte de toute critique.

L’inopposabilité du droit réel accessoire au bénéficiaire d’une mutation publiée n’a vocation à opérer qu’autant que cette transmission, et par suite sa publicité, ne sont pas remises en cause. Plus précisément, l’anéantissement rétroactif susceptible de frapper le transfert de droit sur l’immeuble va revigorer la sûreté réelle immobilière en permettant au créancier de s’en prévaloir. Il ne souffrira plus de l’antériorité de la publicité d’une mutation, par hypothèse anéantie. L’inscription hypothécaire prise du chef d’un ancien propriétaire n’a donc d’intérêt que si elle s’accompagne d’une action visant à obtenir l’inefficacité juridique de la mutation.

Cette remise en cause peut emprunter les voies d’une action en nullité, en résolution ou d’une action paulienne. Le succès des deux premières actions aura pour conséquence l’anéantissement rétroactif de la mutation. Par l’effet de la rétroactivité, l’inscription aura été prise sur un bien réputé n’être jamais sorti du patrimoine de son débiteur. La radiation de la publicité de l’aliénation rendra ainsi l’inscription utile.

Malgré l’intérêt indéniable de l’inscription hypothécaire du chef d’un ancien propriétaire, la Cour de cassation a cru pouvoir l’interdire. On peut donc s’interroger sur le fondement de cette solution.

Par un arrêt du 12 juin 1996, la Cour de cassation ne prohibe qu’indirectement l’inscription hypothécaire du chef d’un ancien propriétaire après la publication de la mutation. Rappelons que Madame X, propriétaire d’un appartement, s’était engagée à le vendre et à en acquérir un autre. Mais les opérations projetées capotèrent en raison, selon Madame X, de deux inscriptions prises par une banque du chef de son débiteur, précédent propriétaire de l’appartement.
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Madame X a donc assigné la banque et le conservateur des hypothèques en réparation de son préjudice. Les héritiers du conservateur furent condamnés au paiement de dommages-intérêts. Ils formèrent un pourvoi en cassation et firent valoir, notamment, qu’en vertu de l’article 34-2 du décret du 14 octobre 1955, le conservateur des hypothèques ne pouvait refuser le dépôt du bordereau d’inscription et que les juges du fond avaient donc violé ce texte en retenant sa responsabilité.

La Cour de cassation se contente d’affirmer que le conservateur des hypothèques devait s’assurer de la concordance du document déposé et des documents publiés. Et implicitement, elle décide qu’une telle concordance n’existe que si l’inscription est prise du chef du propriétaire actuel.

L’inscription hypothécaire du chef d’un ancien propriétaire n’a pas vocation à durer. En effet, si l’action intentée afin de remettre en cause la mutation n’aboutit pas ou si l’inscription a été prise alors même qu’une telle action n’était pas envisagée, le propriétaire actuel pourra toujours en demander la mainlevée. Il pourra même rechercher la responsabilité du créancier si les conditions en sont réunies. Le créancier en prenant une telle inscription supporte les risques pouvant découler d’un échec de sa tentative de remise en cause de la mutation.

Aucun des motifs avancés ne conduit à condamner l’inscription hypothécaire du chef d’un ancien propriétaire.

Cette dernière présente, on l’a vu, un intérêt pratique certain. On ne peut donc que regretter la position prise par la Cour de cassation dans son arrêt du 12 juin 1996.

Source : Petites Affiches, 9 octobre 2000 page 4