Premiers éléments sur l’interprétation par le juge administratif des nouveaux critères législatifs de la domanialité publique.
Les critères de droit commun de la domanialité publique, longtemps fixés par la jurisprudence, sont aujourd’hui définis par la loi et codifiés aux articles L. 2111-1 et L. 2111-2 du Code général de la propriété des personnes publiques (CGPPP).
Ces articles ont jusqu’à présent suscité très peu de contentieux pour deux raisons.
Tout d’abord, ils ne trouvent à s’appliquer qu’aux litiges nés après le 1er juillet 2006, date d’entrée en vigueur de la partie législative du CGPPP. Pour les contentieux nés antérieurement, ce sont les anciens critères jurisprudentiels qui doivent être mis en œuvre.
Le Conseil d’État a, en outre, décidé que la définition du domaine public issue de l’article L. 2111-1 ne devait être appliquée qu’aux affectations intervenues après l’entrée en vigueur du Code : « en l’absence de toutes dispositions en ce sens, l’entrée en vigueur du CGPPP n’a pu, par elle-même, avoir pour effet d’entraîner le déclassement de dépendances qui appartenaient antérieurement au domaine public et qui, depuis le 1er juillet 2006, ne rempliraient plus les conditions désormais fixées par son article L. 2111- 1 » (CE, 3 oct. 2012).
1. L’interprétation par le juge administratif des critères fixés par l’article L. 2111-1 du CGPPP
La décision du 28 avril 2014 Commune de Val d’Isère contribue à clarifier la notion d’affectation à l’usage direct du public.
En jugeant qu’un terrain situé en bordure d’une piste de ski ne pouvait être regardé comme affecté à un tel usage au seul motif que « les skieurs l’empruntaient […] pour se rendre aux remontées mécaniques situées à proximité« , le Conseil d’État a confirmé que l’affectation à l’usage direct du public ne se confond pas avec une simple ouverture au public, au sens d’accessibilité physique du bien, comme certains commentaires du CGPPP l’avaient souligné.
Une solution contraire aboutirait à une extension trop importante du domaine public.
Mais ce qui a surtout intéressé la doctrine, c’est la substitution par la loi, pour les biens affectés à un service public, du critère de « l’aménagement indispensable » à celui de « l’aménagement spécial » auparavant fixé par la jurisprudence.
L’introduction de ce nouveau critère vise à réduire le champ de la domanialité publique.
La doctrine s’est interrogée sur le sens de l’adjectif « indispensable » ; certains auteurs ont émis des doutes sur le caractère plus restrictif de cet adjectif.
La jurisprudence des cours administratives d’appel ne permet pas pour le moment de répondre aux interrogations doctrinales.
La plupart des décisions rendues se réfèrent en effet aux anciens critères jurisprudentiels, et notamment à la condition d’aménagement spécial.
De plus, dans les rares affaires où elles ont fait application de l’article L. 2111-1, les Cours ne se sont pas prononcé, le plus souvent, sur la condition d’aménagement indispensable, soit parce qu’elles ont estimé que le bien en cause n’était pas affecté à l’utilité publique, soit parce qu’elles ont admis l’appartenance de celui-ci au domaine public en se fondant sur le seul critère de l’affectation à l’usage direct du public.
Il a cependant été jugé, à propos de l’aménagement par une commune d’un terrain multisports, d’un « skatepark » et d’un parcours de santé, que l’emprise de ces équipements avait fait l’objet d’aménagements indispensables à l’exercice du service public de la jeunesse et du sport.
Quant au Conseil d’État, en dehors de l’affaire Commune de Val d’Isère, il n’a appliqué l’article L. 2111- 1 qu’une seule fois au contentieux.
Il a ainsi jugé, à propos d’une demande d’expulsion d’occupants sans titre d’un terrain affecté au service public de l’assainissement, qu’une trappe d’accès à un siphon et un portail métallique fermant à clé le terrain en cause constituaient des aménagements indispensables (CE, 5 mars 2014).
Dans sa décision Commune de Val d’Isère, le Conseil d’État a fait une interprétation particulière de la condition d’aménagement indispensable.
Après avoir relevé qu’aux termes de l’article L. 473-1 du Code de l’urbanisme l’aménagement d’une piste de ski alpin est soumis à autorisation, il a en effet jugé qu' »une piste de ski alpin qui n’a pu être ouverte qu’en vertu d’une telle autorisation a fait l’objet d’un aménagement indispensable à son affectation au service public de l’exploitation des pistes de ski« .
Autrement dit, toute piste de ski alpin ouverte sur le fondement d’une autorisation d’aménagement est réputée remplir le critère de l’aménagement indispensable posé par le CGPPP et tous les terrains d’assiette d’une telle piste font par conséquent partie du domaine public, dès lors bien entendu qu’ils appartiennent à une personne publique.
Le Conseil d’État a donc déduit d’une règle d’urbanisme – en l’espèce une autorisation d’aménagement – l’existence d’un aménagement indispensable. Il a ainsi créé un cas original de présomption.
En posant une règle générale susceptible de s’appliquer à toutes les pistes de ski alpin ouvertes en vertu d’une autorisation d’aménagement, le Conseil d’État simplifie incontestablement la qualification des terrains d’assiette de ce type de pistes et apporte par conséquent une plus grande sécurité juridique aux collectivités propriétaires, qui sauront désormais à quoi s’en tenir en ce qui concerne la gestion de leur domaine.
Il ne faudrait pas toutefois que la Haute juridiction multiplie les cas de présomption, sous peine d’aller à l’encontre de l’objectif de réduction du domaine public poursuivi par le législateur.
2. Le juge administratif et la domanialité publique par accessoire (CGPPP, art. L. 2111-2 )
Une autre modification apportée par le législateur concerne la notion de domanialité publique par accessoire.
La théorie jurisprudentielle de l’accessoire avait permis au juge administratif d’incorporer dans le domaine public des biens publics qui, par eux-mêmes, ne remplissaient pas les conditions pour y appartenir.
Le caractère accessoire d’un bien pouvait résulter de son indissociabilité avec le bien principal (lien physique) ou de son utilité pour ce dernier (lien fonctionnel).
L’article L. 2111-2 du CGPPP a codifié la théorie jurisprudentielle de l’accessoire mais en a réduit le champ d’application en rendant les deux conditions cumulatives.
Il dispose ainsi que « font également partie du domaine public les biens des personnes publiques […] qui, concourant à l’utilisation d’un bien appartenant au domaine public, en constituent un accessoire indissociable« .
Depuis l’adoption du CGPPP, le Conseil d’État a eu tendance à faire preuve d’une plus grande rigueur dans l’utilisation de la théorie de l’accessoire, alors même que le code n’était pas applicable.
Par exemple, il a dénié la qualité d’accessoire du domaine public à des appartements situés dans un immeuble abritant le siège social du Crédit municipal de Paris ou encore à des parcelles situées au sein d’une réserve naturelle jouxtant des terrains appartenant au domaine public mais qui ne leur étaient « d’aucune utilité directe au regard de leur affectation« .
Une cour administrative d’appel a de même considéré que les locaux d’un bar-restaurant situés dans un ensemble immobilier partiellement utilisé par le service public des remontées mécaniques, mais qui n’étaient « d’aucune utilité » pour ce dernier, ne constituaient pas un accessoire du domaine public.
Lorsque le CGPPP était applicable, le juge administratif a eu, dans l’ensemble, une conception stricte de la domanialité publique par accessoire, conforme à la lettre et à l’esprit du Code.
Le Conseil d’État a fait application à trois reprises de l’article L. 2111-2.
Il a tout d’abord jugé, dans une affaire relative à une demande d’expulsion de l’occupant d’un logement de fonction, que le logement en cause, situé au dernier étage d’une maison de retraite sans accès indépendant, n’était pas manifestement insusceptible de constituer un accessoire indissociable du domaine public.
Dans son avis sur le domaine national de Chambord (CE, avis, 19 juill. 2012), il a considéré, à propos d’immeubles occupés par des commerces, que « la circonstance que ces immeubles seraient situés à proximité du château et utilisés pour proposer aux visiteurs des biens et services ne suffit pas à les faire regarder comme concourant à l’utilisation d’un bien appartenant au domaine public ou comme en constituant l’accessoire indissociable« . Il en a été de même pour des fermes et des logements dudit domaine, « alors même qu’ils seraient occupés par des agents de l’établissement public« .
Dans l’affaire Commune de Val d’Isère, le Conseil d’État a estimé qu’un terrain situé en bordure d’une piste de ski alpin était dissociable de celle-ci et appartenait, de ce fait, au domaine privé. Il a également refusé d’inclure le sous-sol de la piste de ski dans le domaine public au seul motif qu’il en constituait le soubassement.
Pour en faire partie, il aurait fallu que ce sous-sol comportât des aménagements ou des ouvrages concourant à l’utilisation de la piste, ce qui n’était pas le cas.
Cette solution laisse à penser que le juge administratif ne se contentera plus, pour admettre la domanialité publique du sous-sol d’une voie publique dans le cadre du CGPPP, d’un simple rapport d’indissociabilité physique avec la voie, comme il avait pu parfois le faire.
Les cours d’appel paraissent faire preuve, lorsqu’elles appliquent l’article L. 2111-2, de la même rigueur.
Il a par exemple été jugé qu’un local à usage de restauration situé au rez-de-chaussée d’une résidence hôtelière elle-même insérée dans un établissement thermal ne constituait pas un accessoire indissociable du domaine public car l’accès à ce local « s’effectuait par une entrée distincte de l’accès à la résidence hôtelière et donnant directement sur la voie publique« .
Il en est allé de même d’une maison d’habitation située dans un parc public mais qui ne concourait pas à l’utilisation de celui-ci, ou encore, et pour la même raison, d’un pont attenant à une place servant de parc de stationnement.
À l’inverse, il a été décidé qu’une parcelle permettant d’accéder directement à une salle polyvalente et d’entretenir une haie de bambous bordant des courts de tennis municipaux concourait à l’utilisation de biens appartenant au domaine public et devait dès lors être regardée comme en constituant un accessoire indissociable.
Les juridictions semblent donc bien prendre en compte le caractère désormais cumulatif des liens physique et fonctionnel.
Par ailleurs, pour déterminer si la condition d’indissociabilité est satisfaite s’agissant de locaux situés dans des ensembles immobiliers partiellement occupés par un service public, le juge administratif paraît accorder une grande importance au fait que les locaux en cause disposent ou non d’un accès direct et indépendant, sans passer par les locaux affectés au service public.
3. Le devenir de la théorie de la domanialité publique globale
Il est enfin une question qui a préoccupé la doctrine, celle du maintien ou non par la jurisprudence de la théorie de la domanialité publique globale.
Cette théorie jurisprudentielle, comme celle de l’accessoire, permettait d’incorporer dans le domaine public des biens publics qui, pris isolément, ne remplissaient pas les critères de la domanialité publique.
Le juge administratif l’avait appliquée à des biens inclus dans une emprise foncière globalement affectée à un service public et aménagée à cette fin, comme par exemple les biens compris dans l’enceinte d’une gare, d’un port ou d’un aéroport.
Pour certains auteurs, la théorie de la domanialité publique globale devrait être abandonnée puisqu’elle n’est pas reprise par le CGPPP et qu’en outre l’article L. 2111-2 paraît limiter la possibilité d’inclusion dans le domaine public aux seuls biens qui sont des accessoires indissociables.
Pour d’autres commentateurs, cette jurisprudence reste applicable, sauf dispositions législatives contraires.
Le Conseil d’État a estimé, en formation administrative, que l’entrée en vigueur du code n’a pas remis en cause la théorie de la domanialité publique globale (CE, avis, 19 juill. 2012).
Rien ne l’empêche, toutefois, d’avoir une position différente en formation contentieuse. C’est ce qu’il a fait, par exemple, sur la question de l’applicabilité dans le temps de la nouvelle définition législative du domaine public immobilier : il a consacré dans un arrêt du 3 octobre 2012 une solution inverse de celle qu’il avait retenue quelques mois plus tôt dans son avis Domaine national de Chambord.
Le Conseil d’État a déjà fait application, au contentieux, de la théorie de la domanialité publique globale depuis l’entrée en vigueur du Code.
Dans un arrêt en date du 25 septembre 2013, il a ainsi jugé, à propos d’une demande d’expulsion, qu’une parcelle située dans un port « constituait l’un des éléments de l’organisation d’ensemble du port » et relevait à ce titre du domaine public.
Mais, en l’espèce, le CGPPP n’était pas applicable car les terrains litigieux avaient été incorporés dans le domaine public avant le 1er juillet 2006.
La décision Commune de Val d’Isère qui, précisément, concernait une affaire où le code était applicable, apporte-t-elle à cet égard des éléments de réponse ?
La solution retenue par le Conseil d’État s’inspire effectivement de la théorie de la domanialité publique globale dans la mesure où elle conduit à incorporer un bien dans le domaine public sans avoir à rechercher si ce bien remplit effectivement les critères de la domanialité publique.
Mais le raisonnement juridique est différent car le concept de présomption d’aménagement indispensable peut être rattaché à l’article L. 2111-1 du CGPPP.
Il faudra attendre d’autres décisions du Conseil d’État pour être fixé.
Il n’est pas impossible que le juge prenne en compte les considérations pratiques qui militent en faveur du maintien de cette jurisprudence car elle facilite indéniablement la gestion de biens situés dans un même périmètre mais susceptibles d’être soumis à des régimes juridiques différents.