Modification de la convention fiscale franco-luxembourgeoise.
Les autorités luxembourgeoises et françaises ont signé, le 5 septembre 2014, un quatrième avenant à la convention fiscale franco-luxembourgeoise du 1er avril 1958 en application duquel les plus-values de cessions de titres de sociétés à prépondérance immobilière françaises réalisées par des sociétés luxembourgeoises deviendront imposables en France.
1. Résumé des épisodes précédents
Dans un arrêt du 18 mars 1994, le Conseil d’État avait considéré qu’à défaut de renvoi exprès à l’article 3 de la Convention (imposition des revenus immobiliers), les loyers de source française perçus par une société luxembourgeoise relevaient nécessairement de l’article 4 de cette convention (revenus des entreprises industrielles ou commerciales).
Or, aux termes de ce dernier article, « les revenus des entreprises industrielles, minières, commerciales ou financières ne sont imposables que dans l’État sur le territoire duquel se trouve un établissement stable« .
Il en résultait qu’à défaut d’établissement stable en France, les loyers de source française perçus par une société luxembourgeoise échappaient à toute imposition en France.
Le même raisonnement pouvait être transposé aux plus-values résultant de la cession d’immeubles (relevant également de l’article 3) ou de parts de sociétés, fussent-elles à prépondérance immobilière (puisque la Convention ne comportait aucune clause particulière en matière de plus-values de cessions de titres).
L’administration française a tiré finalement les conséquences de cette jurisprudence dans son instruction du 4 août 2000, en reconnaissant que « les revenus tirés de biens immobiliers situés en France par des sociétés qui ont leur domicile fiscal au Luxembourg ne sont pas imposables en France à l’impôt sur les sociétés, à moins que ces biens immobiliers ne se rattachent effectivement à un établissement stable possédé en France par ces sociétés« .
Elle entérinait par la même occasion l’extension de cette logique en matière de plus-values, en indiquant que : « Les conclusions de l’arrêt s’appliquent mutatis mutandis aux plus-values tirées de la cession d’immeubles« .
Cette analyse fut ensuite étendue aux revenus de source française réalisés par des sociétés luxembourgeoises dans le cadre d’activités de marchands de biens, lotisseurs ou promoteurs réalisées en France par deux réponses ministérielles des 25 et 30 novembre 2004.
Cette dernière position a donné lieu à de nombreux contentieux, l’administration fiscale française requalifiant de manière quasi-systématique les opérations françaises des marchands de biens ou promoteurs immobiliers luxembourgeois, en considérant que les opérations réalisées en France directement ou par l’intermédiaire de prestataires matérialisaient nécessairement la présence d’un établissement stable français.
Les requalifications portant sur des sociétés holdings ont été quant à elles nettement plus rares, sans doute parce qu’il était plus difficile pour l’administration de démontrer l’existence d’un établissement stable en France pour une société luxembourgeoise se contentant de détenir puis de céder des parts d’une SCI, dès lors que cette activité ne requiert pas, en principe, d’interventions particulières en France.
Du côté luxembourgeois, la Cour d’appel de Luxembourg prenait, dans une décision rendue le 23 avril 2002, l’exact contre-pied de l’analyse française en considérant que l’article 3 de la Convention constituait un régime spécifique en matière de revenus ou de gains tirés d’immeubles devant prévaloir sur l’article 4.
Les plus-values de cession d’immeubles sis en France étaient ainsi considérées comme étant exclusivement imposables en France.
La non-imposition pouvait également prévaloir en matière de cessions de parts de sociétés à prépondérance immobilière françaises soit parce que les parts cédées étaient assimilées aux immeubles sous-jacents (parts de société civile immobilière), soit parce que les plus-values de cessions pouvaient bénéficier des exonérations applicables aux sociétés mères en droit luxembourgeois.
Cette situation de double non-imposition, confirmée par des jurisprudences ou positions administratives claires des deux côtés de la frontière, perdura jusqu’à la signature de l’avenant du 24 novembre 2006, entré en vigueur le 1er janvier 2008, qui permet à la France d’imposer les revenus et plus-values tirés d’immeubles situés en France, mais uniquement dans le cas d’une détention directe ou au travers de sociétés dites transparentes (comme les sociétés d’attribution visées à l’article 1655 ter du CGI).
Les plus-values de cessions de parts de sociétés à prépondérance immobilière autres que les sociétés transparentes demeurent à ce jour non imposables en France, sauf à constater qu’elles peuvent être rattachées à un établissement stable français de la société luxembourgeoise cédante.
Les plus-values de cessions de parts de telles sociétés réalisées par des personnes physiques domiciliées au Luxembourg relèvent quant à elles de la clause « autres revenus » (article 18 de la Convention) qui attribue au Luxembourg un droit exclusif d’imposition (indépendamment de toute notion d’établissement fiscal).
2. Effets de l’avenant du 5 septembre 2014
L’avenant nouvellement signé entend donc mettre un terme à cette situation de double non-imposition, en attribuant à la France le droit d’imposer les plus-values de cessions de parts ou actions de sociétés dont l’actif est composé, directement ou indirectement, d’immeubles non affectés à sa propre activité d’entreprise.
L’avenant vise ainsi « les gains provenant de l’aliénation d’actions, parts ou autres droits dans une société, une fiducie ou toute autre institution ou entité, dont l’actif ou les biens sont constitués pour plus de 50 % de leur valeur ou tirent plus de 50 % de leur valeur, directement ou indirectement par l’interposition d’une ou plusieurs autres sociétés, fiducies, institutions ou entités, de biens immobiliers situés dans un État contractant ou de droits portant sur de tels biens« .
Seront donc désormais imposables en France les gains de cessions de parts de sociétés françaises ou étrangères dont l’actif est principalement constitué d’immeubles situés en France détenus directement ou au travers d’entités interposées.
Cette rédaction fait donc échec aux organisations reposant sur un double niveau de sociétés luxembourgeoises.
Il ne semble pas exigé par l’avenant que les entités interposées soient elles-mêmes à prépondérance immobilière, ce qui constituerait, avec la date de prise en compte du ratio, un second point notable de divergence par rapport au champ d’application de l’article 244 bis A du CGI tel qu’il est interprété dans le BOFIP.
L’avenant précise enfin que « pour l’application de cette disposition, ne sont pas pris en considération les biens immobiliers affectés par une telle société à sa propre activité d’entreprise« .
Cette exclusion est conforme à l’approche française de la prépondérance immobilière en matière de plus-values, même si le texte conventionnel semble ne faire référence qu’à l’activité de la société dont les titres sont cédés.
3. Entrée en vigueur des nouvelles stipulations
Les dispositions de l’avenant du 5 septembre 2014 ne produisent pas d’effet immédiat.
Elles n’entreront en vigueur qu’à compter du 1er janvier de l’année suivant celle durant laquelle les instruments de ratification auront été échangés entre la France et le Luxembourg, à condition que cet échange intervienne avant le 30 novembre.
Ainsi, si la France et le Luxembourg parviennent à finaliser la procédure de ratification et l’échange des notifications diplomatiques avant le 30 novembre 2014, le nouvel avenant pourrait s’appliquer aux cessions réalisées à compter du 1er janvier 2015.
Au regard des délais habituels en matière de ratification de conventions ou d’avenants, il semble toutefois peu probable que les dispositions de l’avenant entrent en vigueur avant le 1er janvier 2016.
4. Conséquences pour les organisations en place
Comme souvent lors de la suppression annoncée d’un régime favorable, la tentation va être forte pour certains investisseurs ayant structuré leur détention aux travers de holdings luxembourgeoises de profiter du cadre conventionnel actuel en précipitant une cession ou une restructuration.
Si une cession à un tiers, même décidée brutalement, n’est en soi pas de nature à être remise en cause par l’administration, le cas de restructurations internes ayant pour effet de revaloriser les titres de sociétés à prépondérance immobilière ne doit être envisagé qu’avec la plus grande prudence.
En effet, l’administration n’hésitera pas à recourir à la procédure de l’abus de droit pour requalifier les opérations réalisées dans un but exclusivement fiscal ou considérées comme des montages artificiels.
Il est intéressant à cet égard de se référer aux décisions ou avis rendus dans le cadre de contentieux actuellement en cours portant sur des opérations de restructurations préalables à l’entrée en vigueur de l’avenant de 2006.
L’Administration y met en avant le but exclusivement fiscal d’opérations de fusions, d’apports, de réévaluations libres ou encore de changements de date de clôture effectués en 2007.
Si ces affaires ont pour l’instant plutôt donné lieu à des avis ou décisions défavorables au contribuable, le Tribunal Administratif de Paris a conclu, dans un jugement du 18 juillet 2012, à l’absence d’abus de droit sur des opérations de cessions internes ayant conduit à la réévaluation d’un ensemble d’immeubles sis en France, au motif que cette restructuration avait permis l’obtention d’un financement bancaire à concurrence de la moitié de la valeur des actifs ainsi réévalués.
L’Administration a elle-même abandonné la qualification d’abus de droit en appel.
Au-delà du risque fiscal encouru, les mesures ayant pour objet la réévaluation des titres avant l’entrée en vigueur de l’avenant peuvent ne présenter qu’un intérêt limité.
En effet, dans l’hypothèse où l’immeuble est détenu par une société soumise à l’impôt sur les sociétés, l’acheteur cherchera en principe à décoter le prix d’acquisition des titres du montant de l’impôt sur les sociétés attaché à la plus-value latente constatée sur l’immeuble.
Ainsi, même en l’absence de plus-value imposable, le coût économique de l’impôt sur les sociétés resterait au moins pour partie supporté par le cédant.