L’ordonnance du 10 février 2016 a consacré la possibilité de céder non seulement une créance, ce qu’admettait déjà le Code de 1804, mais aussi une dette ce dont une part de la doctrine refusait encore de reconnaître la possibilité conceptuelle.
Exégèse des textes
L’article 1327 nouveau du Code civil dispose clairement que « un débiteur peut, avec l’accord du créancier, céder sa dette« .
L’exigence de l’accord du créancier cédé est immédiatement révélatrice d’une différence majeure par rapport à la cession de créance.
Elle répond au constat que la cession de dette ne pouvait pas être simplement symétrique à la cession de créance car il ne peut être question d’imposer au créancier un autre débiteur.
Cet accord peut revêtir diverses modalités, comme l’indique l’article 1327-1 : il peut être donné par avance, dès la naissance de la dette ou avant son exigibilité ; il peut aussi résulter d’une intervention du créancier à l’acte de cession.
Sinon, dit le texte, le créancier « ne peut se la voir opposer ou s’en prévaloir que du jour où elle lui a été notifiée ou dès qu’il en a pris acte« .
L’analyse de cette formule comporte cependant une redoutable malfaçon.
Si on supprime la formule restrictive « ne… que« , elle signifie que le créancier « peut se la voir opposer… du jour où elle lui a été notifiée ou qu’il en a pris acte« .
Ce « ou » devrait être un « et« , sinon la formule est incompatible avec l’exigence de l’accord formulée par l’article précédent, puisqu’une notification serait suffisante.
La formule claire de l’article 1327 paraît devoir en toute hypothèse l’emporter : l’accord du créancier est bien une condition de validité de la cession de dette.
Restent à préciser les effets de la cession de dette.
Il résulte de l’article 1327-2 nouveau du Code civil que l’accord exigé du créancier ne libère pas pour autant le débiteur initial, qui reste solidairement tenu avec le cessionnaire, à moins que le créancier consente expressément à sa libération.
La formule n’est d’ailleurs pas dépourvue d’une certaine ambiguïté : « Si le créancier y consent expressément, le débiteur originaire est libéré […] ».
Si le « y » se rapporte à la cession, objet de l’article précédent, cela signifierait qu’il y a une différence entre l’accord mentionné à l’article 1327 et le consentement exprès de l’article 1327-2.
Appliqué au même objet – la cession – cette différenciation entre deux consentements paraît source de difficultés.
Plus vraisemblablement, le « y » doit se rapporter à ce qui suit – la libération du débiteur originaire – et non à ce qui précède.
Tel était plus clairement le sens du projet de la Chancellerie : « Le cédant n’est libéré que si le créancier y consent expressément […] ».
Dans cette formulation, le « y » ne peut viser que la libération.
Même si cette lecture l’emporte, il faudra néanmoins toujours deux consentements distincts, dont l’un doit être exprès et l’autre non, mais qui s’appliquent à des objets différents : la cession pour le premier, la libération du débiteur pour le second.
Leur identification ne manquera pas de donner lieu à contentieux, d’autant que ce double consentement doit évidemment pouvoir être exprimé simultanément.
Les deux derniers articles règlent, pour l’un, le régime de l’opposabilité des exceptions, de la même manière que pour la cession de créance, pour l’autre le sort des sûretés garantissant la dette cédée et le sort des codébiteurs.
Les sûretés demeurent purement et simplement si le débiteur originaire reste lui-même tenu.
Dans le cas contraire, ajoute l’article 1328-1, « les sûretés consenties par des tiers ne subsistent qu’avec leur accord« .
S’agissant de sûretés personnelles, il ne peut s’agir, semble-t-il, que de nouveaux engagements, ce qui pose le problème, par exemple, du renouvellement des mentions manuscrites.
Pour les sûretés réelles consenties par des tiers, la solution est celle admise de longue date en cas de novation : elles « ne subsistent qu’avec leur accord« , donc aussi avec leur rang initial.
Rien n’est dit, en revanche, dans ce cas, des sûretés consenties par le débiteur initial, libéré par le créancier : sa dette se trouvant éteinte, les sûretés accessoires paraissent devoir l’être aussi.
Étant devenu tiers par l’effet de la cession et de sa libération, il faut sans doute admettre qu’elles peuvent pareillement être maintenues avec son accord. Il n’aurait peut-être pas été inutile de le préciser.
Quant aux codébiteurs du cédant, ils restent tenus pour le tout si le cédant le reste lui-même, et déduction faite de la part contributive du cédant s’il est déchargé par le cessionnaire.
Appréciation du dispositif
Au-delà des difficultés d’interprétation ci-dessus évoquées, la question plus fondamentale que l’on peut se poser est de savoir s’il est justifié que la validité même de la cession de dette fût subordonnée à l’accord du créancier.
Le « projet Terré« , suivi en cela par celui de la Chancellerie, avait retenu une solution plus libérale, en admettant une cession purement consensuelle, étant précisé que le cédant n’était libéré que si le créancier consentait à sa libération.
En d’autres termes, l’accord du créancier était requis pour la libération du cédant, non pour la cession elle-même.
L’ordonnance retient une solution plus contraignante.
Est-ce justifié ? Il est permis d’en douter.
Que la cession de dette soit dépourvue d’effet pour le créancier s’il ne l’a pas acceptée, en d’autres termes qu’elle ne lui soit pas opposable, est une chose, et une chose nécessaire.
Que sa validité même soit subordonnée à son consentement en est une autre, dont il est permis de penser qu’elle ne s’imposait pas.
Faut-il dénier tout effet au contrat entre le cédant et le cessionnaire en l’absence d’acceptation du cédé ? Rien ne l’impose.
D’ailleurs même ce consentement du créancier ne rend pas la cession parfaite, puisque, aux termes de l’article 1327-2, le cédant n’est libéré que moyennant un consentement exprès supplémentaire du créancier cédé.
Il n’eût pas été incongru de reconnaître des degrés variables d’efficacité à la cession de dette.
Plus précisément, trois niveaux d’efficacité seraient concevables :
– effet entre les seules parties en l’absence d’accord du créancier ;
– effet entre les trois intéressés en cas d’accord du créancier, mais sans libération du cédant ;
– effet translatif parfait, enfin, en cas de libération expresse du cédant par le cédé.
Une situation très voisine de la cession inter partes seulement peut d’ailleurs être créée par une simple indication de paiement, telle qu’elle est prévue par l’article 1352 nouveau.
L’exigence de l’accord du créancier pour la validité de la cession a pour conséquence que le cessionnaire peut récuser son propre consentement tant que le créancier n’a pas exprimé le sien, ce qui est choquant.
Telle est la raison pour laquelle on peut soutenir que la solution retenue est une demi-mesure et que le législateur, influencé par des réticences d’un autre temps, s’est arrêté au milieu du gué.