ICPE : précisions sur le « tiers intéressé » chargé de l’obligation administrative de réhabilitation.
Des pans entiers de la loi ALUR du 24 mars 2014 ne sont pas encore entrés en vigueur en l’absence de décrets d’application.
Parmi les décrets très attendus, une attention toute particulière est portée sur le volet environnemental de la loi, qui comporte des innovations majeures pour les professionnels de l’immobilier.
Parmi ces innovations figure l’article L. 512-21 du Code de l’environnement qui autorise désormais un « tiers intéressé » à se substituer à l’exploitant débiteur de l’obligation administrative de réhabilitation dans le domaine des installations classées pour la protection de l’environnement.
Un décret du 18 août 2015 vient préciser les modalités d’une telle « substitution » et marque l’entrée en vigueur de cette disposition.
Pour comprendre le caractère novateur de ce dispositif, un petit voyage dans le temps s’impose, en s’appuyant sur le passé pour mieux comprendre le présent et envisager l’avenir.
1. Le passé
Concernant les sites et sols pollués, il existe une grande diversité de débiteurs.
Parmi eux, il faut distinguer le cas des installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE).
Qu’il s’agisse d’une installation soumise à autorisation, enregistrement ou déclaration, le dernier exploitant est en principe tenu d’une obligation administrative de réhabilitation (C. env., art. L. 512-6-1, L. 512-7-6 et L. 512-12-1).
Cette obligation qui relève de la compétence du préfet est d’ordre public.
Toute clause de non-garantie l’ayant pour objet est nulle et sans effet.
Cette obligation administrative ne peut pas non plus être transmise à un tiers tel qu’un aménageur-dépollueur.
En revanche, la jurisprudence a très tôt admis la possibilité de transférer la charge financière de cette obligation.
Cependant, cette convention conclue entre le dernier exploitant et le tiers acquéreur demeure inopposable à l’Administration et ne protège pas le dernier exploitant d’une éventuelle action en responsabilité extracontractuelle exercée par un tiers.
A l’obligation de réhabilitation du dernier exploitant dans les ICPE, il faut adjoindre l’obligation légale du détenteur des déchets (C. env., art. L. 541-1) et « l’obligation jurisprudentielle » des propriétaires-détenteurs de ces déchets.
Cette impossibilité en matière d’ICPE de transférer les obligations administratives a laissé ainsi en friche de très vastes terrains industriels au détriment d’une densification efficace du bâti en zone urbaine.
C’est à cette situation que la loi ALUR et son décret d’application tentent de remédier.
2. Le présent
La loi ALUR du 24 mars 2014 introduit un nouvel article L. 512-21 I dans le Code de l’environnement, qui autorise la substitution partielle ou totale d’un tiers intéressé (acquéreur ou aménageur-dépollueur) qui remplit certaines conditions relatives à sa compétence et aux garanties souscrites.
Le Congrès des Notaires de 2008 avait suggéré une telle disposition aujourd’hui consacrée.
Le décret du 18 août 2015 marque l’entrée en vigueur de ce dispositif qui se compose de deux phases (C. env., art. R. 512-76 et s.).
La première phase consiste pour le tiers intéressé à obtenir un accord préalable du préfet en lui adressant une demande comprenant la proposition du futur usage envisagé pour le site, l’accord du dernier exploitant et l’étendue des obligations tant à l’égard de la réhabilitation, qui peut être partielle ou totale, qu’à l’égard de la surveillance (C. env., art. R. 512-76).
Si le type d’usage envisagé par le tiers demandeur n’est pas identique à l’usage défini dans l’arrêté d’autorisation ou d’enregistrement ou n’est pas conforme à celui déterminé en application des dispositions applicables du Code de l’environnement, il convient d’obtenir l’accord du maire ou du président de l’EPCI compétent en matière d’urbanisme et du propriétaire.
Leur silence pendant trois mois vaut avis favorable.
Le silence gardé par le préfet pendant deux mois vaut, en revanche, refus.
En cas de réponse positive, une deuxième phase est engagée par l’établissement d’un arrêté préfectoral de substitution.
Le préfet indique le type d’usage retenu et le délai dans lequel le tiers intéressé devra lui adresser le dossier de demande de substitution. Ce dossier comprend un « mémoire de réhabilitation » qui définit les mesures permettant de garantir la compatibilité de l’usage futur et l’état des sols.
Le tiers intéressé doit également obtenir un second avis de l’exploitant.
Le silence gardé par le préfet pendant quatre mois vaut refus.
En cas d’accord du préfet, ce dernier va fixer la nature des travaux, les délais de réalisation, vérifier l’existence de l’attestation de maîtrise foncière du terrain ou l’autorisation du propriétaire pour réaliser les travaux, va déterminer le montant et la durée des garanties financières et exiger une attestation de constitution des garanties financières.
Un arrêté du 18 août 2015 précise les pièces nécessaires à la consignation et le modèle d’attestation de constitution.
Ces garanties peuvent prendre la forme d’une garantie à première demande d’un établissement de crédit, de caution mutuelle, d’une société de financement ou entreprise d’assurance ; d’une consignation entre les mains de la Caisse des Dépôts et Consignations ; d’une garantie autonome à première demande dans les conditions prévues par l’article R. 512-80 du Code de l’environnement.
Le tiers intéressé se substitue alors au dernier exploitant et est soumis aux mêmes obligations administratives.
Cependant, si les travaux de réhabilitation ne sont pas menés à bien et que les garanties s’avèrent inefficaces ou insuffisantes, le dernier exploitant demeure tenu à titre subsidiaire, dans la limite de ce qu’auraient été ses obligations administratives s’il n’avait jamais eu de repreneur.
Le dernier exploitant demeure également tenu, en cas de substitution partielle, de la remise en état non prise en charge par le tiers intéressé, conformément à l’usage défini dans l’arrêté d’autorisation ou d’enregistrement (C. env., art. R. 512-77).
Si ce mécanisme de substitution était attendu par les professionnels de l’immobilier, il suppose de prendre de multiples précautions et suscite déjà de nombreuses interrogations.
3. L’avenir
L’avenir de ce dispositif dépend du relais assuré par les rédacteurs d’actes lors de l’information des parties et de la rédaction des différentes conventions.
À moyen ou long terme, c’est le champ d’application de ce dispositif qui devra être étendu.
Au-delà des informations qui sont imposées par la loi et précisées par le décret et par l’arrêté, ce mécanisme de substitution repose essentiellement sur le principe de liberté contractuelle et suppose de prendre de nombreuses précautions rédactionnelles.
Le processus d’autorisation et d’avis, qui ponctue le dispositif de substitution, est un risque majeur que les parties et leurs conseils vont devoir identifier et gérer au sein des différents actes qu’ils seront amenés à conclure.
Au sein du contrat de vente, il faudra rédiger avec précision les différentes conditions suspensives (durée, étendue des obligations imposées par le préfet, usage futur…).
Peut-être faudra-t-il prendre en compte au sein des conditions suspensives l’épuisement des recours contre les autorisations administratives ou envisager d’en faire l’objet d’une condition résolutoire.
La convention de substitution proprement dite doit également être rédigée avec précaution.
Il va falloir déterminer précisément l’étendue de l’obligation administrative transmise qui peut être intégrale ou partielle.
En effet, cette convention de substitution ne rend pas le tiers seul responsable des dommages causés par un sol pollué.
Il faut attirer l’attention du dernier exploitant, parfois propriétaire du bien, sur sa responsabilité à l’égard des obligations administratives non transmises et sur sa responsabilité subsidiaire en cas de défaillance du tiers.
Il faudra également vérifier que la garantie financière fournie permet de couvrir le coût de la réhabilitation prise en charge par le tiers.
Il faut enfin rappeler que le droit des déchets demeure applicable.
La responsabilité des « détenteurs » peut être engagée soit par application de la loi, soit en vertu de l’interprétation extensive des textes par la jurisprudence judiciaire et administrative engageant la responsabilité du « propriétaire-détenteur« .
D’une manière générale, il faut veiller à ce que la convention de droit privé entre le dernier exploitant et le tiers intéressé soit exactement conforme aux accords sur l’usage et l’étendue des travaux de réhabilitation donnés par l’Administration.
Pour finir, relevons une incohérence de la loi ALUR limitant, du moins dans la lettre du texte, la validité et l’efficacité de ce dispositif aux seules ICPE.
Ce champ d’application formellement restrictif peut surprendre.
En effet, le nouvel article L. 556-3 du Code de l’environnement met en place un droit commun des sites pollués et transcende la distinction entre ICPE et déchets.
L’article L. 556-3, I du Code de l’environnement dispose ainsi que « En cas de pollution des sols ou de risques de pollution des sols présentant des risques pour la santé, la sécurité, la salubrité publiques et l’environnement au regard de l’usage pris en compte, l’autorité titulaire du pouvoir de police peut, après mise en demeure, assurer d’office l’exécution des travaux nécessaires aux frais du responsable« .
Les responsables sont visés au II de l’article : « 1° Pour les sols dont la pollution a pour origine une activité mentionnée à l’article L. 165-2, une installation classée pour la protection de l’environnement ou une installation nucléaire de base, le dernier exploitant de l’installation à l’origine de la pollution des sols, ou la personne désignée aux articles L. 512-21 et L. 556-1, chacun pour ses obligations respectives. Pour les sols pollués par une autre origine, le producteur des déchets qui a contribué à l’origine de la pollution des sols ou le détenteur des déchets dont la faute y a contribué ; 2° À titre subsidiaire, en l’absence de responsable au titre du 1°, le propriétaire de l’assise foncière des sols pollués par une activité ou des déchets tels que mentionnés au 1°, s’il est démontré qu’il a fait preuve de négligence ou qu’il n’est pas étranger à cette pollution« .
En s’appuyant sur ce texte et en attendant le décret d’application, ne serait-il pas désormais plus cohérent de prévoir que la convention de substitution à un tiers intéressé ne se limite pas aux seules ICPE mais s’étend à tous les « responsables » visés par l’article L. 556-3 du Code de l’environnement ?
À défaut d’une telle interprétation, on maintiendrait une différence de traitement entre les derniers exploitants et les autres débiteurs légaux en contradiction avec la lettre et l’esprit de l’article précité.