Le champ d’application de la prescription quinquennale en matière de bail.
La prescription des loyers et des accessoires résulte de l’article 2277 du Code civil.
Ce texte dispose notamment que :
« Se prescrivent par cinq ans les actions en paiement … des loyers, des fermages, et des charges locatives… et généralement de tout ce qui est payable par année ou à des termes périodiques plus courts. Se prescrivent également par cinq ans les actions en répétition des loyers, des fermages et des charges locatives ».
L’objectif de la prescription quinquennale est de protéger le débiteur, c’est-à-dire le locataire, contre toute accumulation excessive de loyer qui pourrait l’amener à la ruine. En effet, la prescription quinquennale de l’article 2277 du Code civil n’est pas fondée sur une présomption de paiement. En conséquence, cette prescription de cinq ans peut jouer même si le locataire avoue ne pas avoir payé les loyers exigés de son propriétaire.
1. La prescription quinquennale s’applique quelle que soit la nature du bail
La prescription quinquennale de l’article 2277 du Code civil s’applique quelle que soit la nature du bail. En effet, celle-ci trouve à s’appliquer non seulement en matière de baux d’habitation, de baux professionnels, mais également en matière de baux ruraux, de baux commerciaux ou de baux en meublé.
A.- La prescription des loyers
La prescription quinquennale concerne en premier lieu les loyers dus par le locataire. Cette prescription est visée expressément par l’article 2277 précité.
1° Les baux régis par la loi du 1er septembre 1948
On s’est demandé si la prescription quinquennale trouvait à s’appliquer en matière de baux soumis à la loi du 1er septembre 1948. En effet, cette loi contient un article 68 qui prévoit que les actions en nullité et en répétition se prescrivent par trois ans.
La Cour de cassation n’a pas hésité à répondre de manière très claire en la matière (Cass. civ. 3ème 18 fév. 2003). Elle décide que l’action en paiement du loyer lui-même relève de la prescription de cinq ans visée à l’article 2277 du Code civil et qu’en conséquence la prescription de l’article 68 devait être écartée.
2° Les baux soumis au statut des baux commerciaux
On s’est également demandé s’il y avait lieu d’appliquer la prescription quinquennale en matière de baux commerciaux. En effet, en vertu de l’article L. 145-60 du Code de commerce, toutes les actions exercées en vertu du statut des baux commerciaux se prescrivent par deux ans.
Mais la Cour de cassation a refusé d’appliquer ces dispositions à l’action en paiement des loyers ou des charges dus en vertu d’un bail commercial (Cass. civ. 3ème 5 oct. 1994).
De même, l’action en paiement d’une indemnité d’occupation contre un occupant sans droit ni titre n’est pas soumise à la prescription biennale de l’article L. 145-60 du Code de commerce.
En revanche, l’action en paiement de l’indemnité d’occupation due par l’occupant dans le cadre de son droit au maintien dans les lieux visé à l’article L. 145-28 du Code de commerce en attendant le paiement de son indemnité d’éviction, est soumise à la prescription de deux ans de l’article L. 145-60 (Cass. civ. 3ème 5 fév. 2005).
La chambre mixte de la Cour suprême s’est prononcée en faveur de la prescription quinquennale même si le loyer non payé a fait l’objet d’une reconnaissance de dette qui évalue en capital le montant des loyers accumulés et qui restent dus au propriétaire (Cass. ch. Mixte 12 avr. 2002).
4° Le problème de l’indexation des loyers
L’indexation joue de manière automatique et de plein droit. Il en va différemment en matière de révision triennale concernant le loyer des baux commerciaux. L’augmentation du loyer résultant d’une clause d’indexation figurant dans le bail commercial, appelée clause d’échelle mobile (C. com., art. 145-39), est soumise à la prescription quinquennale.
En revanche, le principe même de l’indexation n’est pas soumis à la prescription quinquennale. En effet, le fait que le bailleur oublie de réclamer les augmentations résultant de l’indexation n’implique pas de sa part une renonciation au jeu de l’indexation (Cass. civ. 17 avr. 1991).
Exemple – Soit un bail contenant une clause d’indexation. Si, au bout de la huitième année, le propriétaire n’a toujours pas demandé le jeu de la clause d’indexation, il pourra le faire mais dans la limite des cinq dernières années en raison de la prescription quinquennale de l’article 2277 (Cass. civ. 3ème 26 fév. 1986). En revanche, la prescription de cinq ans ne s’applique pas au principe même de l’indexation. Bien entendu, il en irait différemment si le locataire peut apporter la preuve que le propriétaire a renoncé à la clause d’indexation. La renonciation à un droit ne se présume pas et la preuve en incombe au locataire.
2. La prescription des charges locatives
Dans un arrêt rendu le 12 avril 2002, la chambre mixte de la Cour de cassation a décidé d’appliquer la prescription quinquennale de l’article 2277 aux charges locatives.
La loi du 18 janvier 2005, dite de programmation pour la cohésion sociale, a consacré cette jurisprudence. Elle a modifié les dispositions de l’article 2277 en prévoyant expressément l’application de la prescription quinquennale aux charges locatives.
3. La prescription de l’indemnité d’occupation
En pratique, il n’est pas rare qu’après la résiliation d’un bail, un locataire se maintienne dans les locaux loués et soit tenu à ce titre à verser au propriétaire une indemnité d’occupation.
L’assemblée plénière a rendu tout récemment un arrêt très important à ce sujet (Cass. ass. plén. 10 juin 2005). Dans cette affaire, la Cour précise que :
« Si le créancier peut poursuivre pendant trente ans l’exécution d’un jugement condamnant au paiement d’une somme payable à terme périodique, il ne peut, en vertu de l’article 2277 du Code civil, applicable en raison de la nature de la créance, obtenir le recouvrement des arriérés échus plus de cinq ans avant la date de la demande. »
4. La prescription des sommes indûment payées par le locataire
Lorsque le locataire a procédé à des paiements indus au profit de son propriétaire, il est en droit d’agir contre celui-ci pour en demander le remboursement.
La loi du 18 janvier 2005 sur la cohésion sociale permet désormais au propriétaire d’opposer la prescription quinquennale de l’article 2277 du Code civil au locataire qui envisage d’agir contre lui en répétition des sommes qu’il lui a versées à tort. Le dernier alinéa de l’article 2277 modifié par la loi du 18 janvier 2005 déclare expressément que « se prescrivent également par cinq ans les actions en répétition des loyers, des fermages et des charges locatives.«
Si ces nouvelles dispositions ne sont guère favorables au locataire, il faut bien reconnaître que la prescription trentenaire était très mal vécue par les propriétaires.
Ces derniers acceptaient difficilement que les locataires puissent leur opposer la prescription quinquennale en cas de non-paiement des loyers ou des charges alors qu’eux-mêmes ne pouvaient pas, jusqu’à présent, leur opposer la même prescription en cas d’action en répétition de l’indu.
Il y a lieu toutefois de réserver les dispositions de l’article 68 de la loi du 1er septembre 1948, qui prévoient que l’action en répétition visée au chapitre VI de cette même loi se prescrit par 3 ans.
En conséquence, l’action en répétition d’un loyer illicite ou de charges indûment perçues au regard de la loi de 1948 se prescrit par 3 ans (Cass. civ. 3ème 19 mai 1999). Le délai de 3 ans a pour point de départ la perception des loyers illicites (Cass. civ. 3ème 24 mars 1971).