COMMENTAIRE de M. Xavier de LESQUEN

Peut-on réaliser des travaux sur une construction régulièrement édifiée mais qui a fait ensuite l’objet d’un changement de destination non autorisé ?

L’importante décision du 16 mars 2015 (M. et Mme La Marque) abroge la jurisprudence Fernandez de 2007 qui avait admis que la circonstance qu’un bâtiment ait fait l’objet dans le passé d’un changement de destination non autorisé est sans incidence sur la légalité de la demande d’autorisation d’urbanisme présentée ultérieurement afin de réaliser des travaux sur ce bâtiment et ayant ce seul objet.

Solution opportune face à des cas limites, mais peu orthodoxe.

C’était en effet faire un cas à part aux règles relatives à la destination des constructions, alors que celles-ci sont bien au nombre des règles d’urbanisme que l’autorité publique peut fixer, notamment par le règlement du plan local d’urbanisme (PLU).

L’article L. 123-1-5 du Code de l’urbanisme prévoit en effet que « le règlement peut fixer les règles suivantes relatives à l’usage des sols et la destination des constructions » et peut « définir, en fonction des situations locales, les règles concernant la destination et la nature des constructions autorisées« .

C’est la raison pour laquelle les changements de destination comme les travaux exécutés sur des constructions existantes sont soumis à autorisation d’urbanisme en vertu de l’article L. 421-1, la destination initiale étant contrôlée à l’occasion de la délivrance de la décision autorisant la construction.

Les règles de destination rentrent donc dans le rang de la jurisprudence Thalamy. Cela veut dire qu’une destination de fait irrégulière, c’est-à-dire différente de celle autorisée, doit être régularisée pour permettre de nouveaux travaux.

En un mot, tous nouveaux travaux doivent comporter mention de la destination réelle, et seront refusés si les règles alors applicables y font obstacle.

C’est le cas si le PLU exclut la destination réelle de la construction, destinée alors à demeurer irrégulière, avec tous les risques que cela comporte, notamment pénaux, mais également inchangée, sauf exception admise par la ligne de jurisprudence Mme Ely de 2011.

En effet, le Conseil d’État énonce, dans le même considérant, que si aucune régularisation de l’ensemble des éléments de la construction n’est possible au regard des règles d’urbanisme en vigueur à la date de sa décision, « l’autorité administrative a toutefois la faculté, lorsque les éléments de construction non autorisés antérieurement sont anciens et ne peuvent plus faire l’objet d’aucune action pénale ou civile, après avoir apprécié les différents intérêts publics et privés en présence au vu de cette demande, d’autoriser, parmi les travaux demandés, ceux qui sont nécessaires à la préservation de la construction et au respect des normes« .
La décision prend ensuite en compte l’impact de la prescription administrative de dix ans que comporte l’article L. 111-12 du Code de l’urbanisme issue de la loi du 13 juillet 2006 portant engagement national pour le logement, qui fait obstacle aux effets de la jurisprudence Thalamy pour les travaux réalisés depuis plus de dix ans.

Mais son apport est contrasté : la décision admet d’en faire application à la destination irrégulière, ce qui ne se déduit pas directement du texte qui concerne les travaux.

En revanche, elle exclut la régularisation des travaux ayant été réalisés sans permis de construire en méconnaissance des prescriptions légales alors applicables, alors que la réserve que comporte le e) de l’article L. 111-12 vise la construction réalisée sans permis de construire.

Cette interprétation de la loi conduit à largement vider le texte de sa portée puisqu’à la suivre, seules les irrégularités relevant du régime de la déclaration préalable bénéficieraient de la prescription.

On pourrait pourtant penser que la réserve relative aux constructions réalisées sans permis de construire, introduite en commission mixte paritaire après un désaccord entre l’Assemblée nationale et le Sénat sur le principe même de la prescription, visait les constructions réalisées sans aucune autorisation.

Source : BJDU, 3/15, page 200