La Cour de Justice des Communautés Européennes (CJCE) vient de rendre une décision très attendue dans l’affaire Lasteyrie du Saillant (CJCE 11 mars 2004).
Elle vient de juger que les dispositions codifiées à l’article 167 bis du Code Général des Impôts (couramment appelées « exit tax »), imposant certaines plus-values latentes du seul fait du transfert du domicile fiscal d’une personne physique de France vers un autre Etat membre, entravent la liberté d’établissement, en tant qu’elles constituent une différence de traitement dissuasive qui ne peut être justifiée par des raisons impérieuses d’intérêt général en raison de leur caractère disproportionné par rapport à l’objectif visé de prévention de l’évasion fiscale.
En substance, l’article 167Bis du CGI prévoit que les contribuables fiscalement domiciliés en France pendant au moins six années au cours des dix dernières années sont imposables, à la date du transfert de leur domicile hors de France, au titre des plus-values constatées sur les droits sociaux représentatifs de participations « substantielles » (supérieures à 25 %).
Ce texte, résultant de l’article 24 de la loi de finances pour 1999, avait, à l’époque, été présenté comme un moyen de lutter contre la délocalisation de personnes physiques désireuses d’éviter l’imposition des plus-values sur titres par un transfert de leur domicile fiscal dans un Etat qui les exonère, préalablement à toute cession.
Quoique la loi prévoit que l’impôt exigible sur les plus-values latentes est calculé à la date du transfert du domicile et qu’il fait l’objet d’une mise en recouvrement spécifique, le contribuable peut bénéficier d’un sursis de paiement, à condition, notamment, que soient constituées des garanties auprès du comptable chargé du recouvrement de l’impôt correspondant aux plus-values imposables.
Si le contribuable ne procède à aucune transmission ou assimilée au cours de la période de cinq ans suivant son départ, l’impôt afférent aux plus-values constatées est dégrevé d’office (les frais de constitution des garanties sont alors remboursables).
L’objectif du texte est, en effet, de ne viser que des personnes physiques qui s’expatrient pour céder, relativement peu de temps après leur départ, des titres générateurs de plus-values légitimement rattachables à la France.
La question posée est celle de la comptabilité de ce dispositif avec le droit communautaire.
Solennellement réuni en formation d’assemblée, le Conseil d’Etat a, en substance, jugé (CE ass. 14 décembre 2001 de Lasteyrie du Saillant) :
– que les règles prévues par l’article 167Bis ne sont pas contraires au principe général de liberté d’aller et de venir, tel qu’il est consacré par la déclaration des droits de l’homme et du citoyen et par la convention européenne des droits de l’homme, dans la mesure où elles n’ont ni pour objet ni pour effet de soumettre l’exercice effectif de cette liberté à de quelconques restrictions ou conditions ;
– que néanmoins la question se posait effectivement de savoir si le dispositif était compatible avec l’article 43 du Traité CE, qui pose le principe de la liberté d’établissement au sein de l’Union européenne ; dans la mesure où l’affaire présentait un intérêt qui dépassait de beaucoup le seul cadre français, le Conseil d’Etat a fort opportunément renvoyé pour interprétation à la CJCE.
La décision de la Cour se situe tout à fait dans la ligne d’une jurisprudence qui commence à devenir bien établie et qui a des effets dévastateurs sur de nombreuses législations fiscales nationales, faute d’harmonisation fiscale au sein de l’Union européenne.
Le dispositif de l’article 167Bis, cependant, devrait normalement pouvoir continuer de produire ses effets en ce qui concerne les transferts de résidence en dehors de l’Union européenne, et, en particulier, en Suisse, sous réserve peut-être des accords passés entre l’Union européenne et la Suisse.