Une décision de préemption qui ne comporte pas la mention du prix auquel la collectivité exerce son droit, ou qui est notifiée tardivement, ne fait pas obstacle à la conclusion de la vente entre les parties à l’avant contrat.
Il n’y a dès lors pas lieu d’en ordonner la suspension, faute d’urgence justifiant qu’en soient écartés les effets.
Note de M. Philippe BENOIT-CATTIN :
L’urgence, clef de voûte du référé suspension, est une notion mélangée de fait et de droit qui, aux termes du considérant de principe systématiquement reproduit par le juge dans ses décisions, se mesure à l’aune des effets de l’acte litigieux et s’apprécie objectivement, compte tenu de l’ensemble des circonstances de chaque espèce.
Voici précisément une espèce où la requête en référé a été rejetée en raison de l’absence d’urgence, pour des motifs de droit appréciés de façon radicalement différente par le juge de première instance et le juge de cassation.
A la suite de l’envoi d’une déclaration d’intention d’aliéner portant sur un terrain de 10.000 m² la commune de Muy a décidé d’exercer son droit de préemption par deux décisions du maire, en date respectivement du 16 avril et du 16 mai 2003.
Saisi par la société propriétaire du terrain, le juge des référés du Tribunal administratif de Nice rejetait la requête au motif que « la condition d’urgence posée à l’article L. 521-1 du Code de justice administrative n’était pas remplie, eu égard à l’intérêt public s’attachant à l’objet pour lequel ce droit avait été exercé ».
Le juge avait donc entendu se placer sur le terrain de la balance des intérêts pour considérer que l’objet pour lequel le droit de préemption a été exercé conduisait à écarter, en l’espèce, les effets de la décision de préemption sur les intérêts du cédant, en dépit de son illégalité probable.
Mais encore fallait-il qu’il y eût décision de préemption, à défaut de quoi il n’est pas même besoin de se pencher sur ses effets. Or, tel n’était pas le cas selon le Conseil d’Etat.
Pour juger qu’aucune des décisions du maire n’était de nature à entraver la vente conclue entre la société propriétaire et l’acquéreur pressenti, le Conseil d’Etat fait application de solutions désormais bien établies.
D’une part, il avait déjà eu l’occasion de juger que la délibération qui ne mentionne pas à quel prix est envisagée l’acquisition de l’immeuble par la collectivité est sans effet juridique et ne peut faire obstacle à la conclusion de la vente prévue entre les parties (CE, 16 mai 2001).
D’autre part, la décision de préemption notifiée après l’expiration du délai de deux mois fixé par l’article L. 213-2 est, selon la jurisprudence administrative (CE, 13 mai 1996), entachée d’illégalité, mais demeure dans l’ordre juridique tant que le juge ne l’a pas annulée.