CASS. CRIM. 22 Janvier 2014

Recours abusif contre un permis de construire : pour la première fois, les juges retiennent l’escroquerie.

Note de Mme Josette DEQUÉANT :

Dans un arrêt du 22 janvier 2014, la Cour de cassation a fait tomber le mur d’impunité qui protégeait depuis longtemps, malgré quelques brèches récentes, les auteurs de recours malveillants contre les autorisations d’urbanisme.

La Haute juridiction judiciaire a confirmé un arrêt de la Cour d’appel de Paris condamnant six personnes à des peines de prison avec sursis, à de fortes amendes et à près d’un million d’euros de dommages-intérêts, pour une escroquerie consistant à déposer des recours contentieux contre des projets immobiliers, puis à monnayer leur désistement auprès des promoteurs concernés.

L’arrêt dénonce un système de fraude très élaboré remontant à 1997 : en l’espace de six mois, quatre projets d’opérations immobilières de grande envergure ont fait l’objet de recours, introduits in extremis avant la date d’expiration du délai, à travers la France (Le Havre, Serris, Paris-Bercy et Roubaix).

Trois personnes sont notamment incriminées comme étant à l’origine de ces recours : les anciens directeurs juridique et financier de la société maître d’ouvrage de ces projets, ainsi que l’avocat-conseil de cette même société, agissant sous couvert de prête-noms, dissimulation et usurpation d’identité.

Dans deux cas, le montage a abouti à des désistements, moyennant des transactions très avantageuses (portant sur 2,5 et 3 millions de francs). Dans les deux autres cas, les procédures administratives ont été abandonnées après une enquête judiciaire diligentée à la suite d’une plainte.

La chambre criminelle de la Cour de cassation confirme l’arrêt de la Cour d’appel qui « pour dire établies les escroqueries et tentatives d’escroquerie reprochées aux prévenus, énonce notamment que, si l’exercice d’une action en justice constitue un droit, son utilisation, hors le dessein de faire assurer ou protéger un droit légitime et après qu’un intérêt à agir eut été artificiellement créé dans le seul but d’obtenir le versement de sommes au titre d’une transaction, constitue une manœuvre déterminante de la remise des fonds« .

Elle reconnaît ainsi que les deux éléments constitutifs de l’escroquerie (l’existence d’une manœuvre frauduleuse et la causalité entre cette manœuvre et le versement de fonds) sont caractérisés au regard du Code pénal.

Ce nouveau garde-fou judiciaire, protégeant les bénéficiaires de permis, s’ajoute à la panoplie légale ouverte par l’ordonnance du 18 juillet 2013 qui restreint l’intérêt à agir des requérants, accroît les pouvoirs du juge administratif en cours d’instance et encadre les modalités du désistement transactionnel.

Rappelons que cette ordonnance, entrée en vigueur le 19 août 2013, offre au juge la possibilité de condamner l’auteur d’un recours malveillant à verser des dommages-intérêts au bénéficiaire du permis « si ce dernier a subi un préjudice excessif, excédant la défense des intérêts légitimes du requérant« .

Source : (Le Moniteur, 20 février 2014