CASS. COM. 8 Novembre 2005 (2 arrêts)

En cas de fusion-absorption d’une société propriétaire d’un immeuble donné à bail, le cautionnement garantissant le paiement des loyers est, sauf stipulation contraire, transmis de plein droit à la société absorbante (1re espèce).

En cas de dissolution d’une société par voie de fusion-absorption par une autre société, l’engagement de la caution garantissant le paiement des loyers consenti à la première demeure pour les obligations nées avant la dissolution de celle-ci (2e espèce).

Note de M. Alain LIENHARD :

Ces deux arrêts rendus le 8 novembre 2005 signent une remarquable avancée de la jurisprudence de la Cour de cassation dans le traitement du cautionnement en cas de fusion-absorption.

Tous deux novateurs, ils traduisent un progrès d’inégale importance : une véritable petite révolution s’agissant de la fusion-absorption de la société créancière, en ce sens que la Chambre commerciale abandonne sa solution traditionnelle (arrêt n° 1402, Selectibail), une évolution sans rupture s’agissant de la fusion-absorption de la société cautionnée (arrêt n° 1403, SCI du 75, Champs Elysées).

La jurisprudence relative au sort du cautionnement lorsque la société bénéficiaire du cautionnement ou la société cautionnée vient à être absorbée présentait jusqu’ici une certaine unité.

Plus imprégnée de la logique protectrice du consentement de la caution, propre à l’article 2015 du Code civil, qu’inspirée par le principe de transmission universelle du patrimoine de la société absorbée, énoncée par l’article L. 236-3 du Code de commerce, elle reposait sur l’intuitus personae prêté au garant, qui trouvait sa traduction technique sur le terrain de la distinction entre l’obligation de couverture et l’obligation de règlement : tandis que la caution restait tenue du passif existant au jour de la fusion, la garantie des dettes postérieures supposait une manifestation expresse de la caution de s’engager envers la nouvelle personne morale.

Quant à l’absorption de la société cautionnée, l’arrêt n° 1403 du 8 novembre 2005 demeure fidèle à cette approche.

On retrouve le double visa des articles 2015 du Code civil et L. 236-3 du Code de commerce, et la ligne de partage entre les dettes nées avant et après la date de dissolution de la société absorbée.

Ici était en cause la dette de loyers, dont la naissance, rappelle la Chambre commerciale, se situe au jour de la conclusion du bail, et non au fur et à mesure des différentes échéances.

La solution demeure discutée en doctrine, mais elle procède de l’autorité d’un arrêt de Chambre mixte de la Haute juridiction, rendu sur la délicate question de la portée de la saisie-attribution d’une créance à exécution successive après la survenance d’un jugement ouvrant un redressement ou une liquidation judiciaire à l’encontre de son titulaire (Cass., ch. Mixte, 22 nov. 2002).

C’est l’arrêt n° 1402 qui retient toute l’attention, car, là, la Cour de cassation opère un changement de cap radical.

Toujours à propos du cautionnement d’une dette de loyers (de crédit-bail d’immeuble), la décision Selectibail se présente dépouillée de toute révérence à l’article 2015 du Code civil, en vertu duquel, la Cour d’appel avait libéré les cautions après l’absorption de la société de crédit-bail créancière au motif classique que celles-ci n’avaient pas manifesté leur volonté de s’engager envers le nouveau bailleur.

La cassation intervient au seul visa de l’article L. 236-3 du Code de commerce.

Désormais, c’est le principe de la transmission universelle du patrimoine de la société absorbée à la société absorbante qui dicte sa loi.

La problématique fait immanquablement songer à la vive controverse ayant conduit, l’année dernière, l’Assemblée plénière de la Cour de cassation à décider, en cas de vente de l’immeuble loué, de la transmission de plein droit, sauf clause contraire, du cautionnement au nouveau propriétaire en tant qu’accessoire de la créance de loyers cédée à l’acquéreur (Cass., ass. plén. 6 déc. 2004).

Ici comme là, la jurisprudence prend en considération le fait que le changement de créancier n’a nullement pour effet d’aggraver les engagements de la caution.

Le parallèle s’avère d’autant plus valable, si on le poursuit, que la Chambre commerciale, à l’instar de l’Assemblée plénière, tout en posant le principe de la transmission de plein droit du cautionnement, et en écartant l’article 2015, réserve quand même la possibilité pour la caution de stipuler une clause contraire afin de se voir dégagée si d’aventure l’établissement bénéficiaire du cautionnement venait à être absorbé.

Source : Dalloz, 2005 n° 41, page 2875