CASS. COM. 7 Décembre 2004

Délégation de paiement de l’indemnité d’éviction : qualification et effet.

La délégation de paiement est l’opération par laquelle un débiteur (le délégant) donne à son créancier (le délégataire) un autre débiteur (le délégué) (C. civ. art. 1275).

Après résiliation d’un bail commercial à ses torts, un bailleur avait été condamné à payer une indemnité d’éviction au locataire.

A l’occasion de la vente par le bailleur des locaux anciennement loués, l’acquéreur s’était engagé à payer ladite indemnité mais, poursuivi en paiement par le locataire, il avait alors soutenu que la clause mettant l’indemnité à sa charge ne pouvait pas être invoquée par le locataire, tiers au contrat, et qu’en tout état de cause la créance afférente à cette indemnité était éteinte faute d’avoir été déclarée dans le cadre de la procédure de redressement judiciaire ouverte entre-temps à l’encontre du bailleur.

La Cour de cassation a rejeté ces arguments et condamné l’acquéreur à régler l’indemnité pour les raisons suivantes : l’acte intervenu entre le bailleur et l’acquéreur s’analysait en une délégation au sens de l’article 1275 précité et avait été accepté par le locataire ainsi que le démontrait l’action en paiement formée par celui-ci contre l’acquéreur.

Par suite, l’obligation de l’acquéreur (délégué) à l’égard du locataire (délégataire), résultant de cette délégation, était une obligation personnelle, indépendante de l’obligation du bailleur (délégant), de sorte que l’extinction de la créance du locataire contre ce dernier pour défaut de déclaration avait laissé subsister l’obligation distincte de l’acquéreur.

Note :

La délégation suppose que le délégataire accepte de recevoir paiement des mains du délégué et que le délégué y consente, l’accord pouvant être tacite.

En l’espèce la question du consentement du délégué (l’acquéreur) ne se posait pas puisqu’il avait signé la clause litigieuse ; quant à l’acceptation du délégataire (le locataire), elle a été déduite de l’action qu’il avait engagée contre le délégué. A défaut d’une telle acceptation, l’opération ne constitue pas une délégation mais une simple indication de paiement ou encore un mandat de payer.

En l’espèce, l’opération pouvait être qualifiée de délégation imparfaite, laquelle ne libère pas le délégant de son obligation initiale, par opposition à la délégation parfaite qui suppose en outre que le délégataire ait expressément déchargé le délégant (C. civ. art. 1275). La délégation imparfaite emporte création d’un lien de droit direct et nouveau entre le délégué et le délégataire.

La chambre commerciale en a déduit que le délégué ne peut, pour refuser de payer le délégataire, invoquer ni les raisons qu’il a de ne pas payer le délégant ni celles que le délégant a de ne pas payer le délégataire. En l’espèce, le défaut de déclaration de la créance d’indemnité par le délégataire à la procédure collective du délégant, qui en application de l’article L 621-46 emporte extinction de la créance, n’affecte pas l’obligation personnelle contractée par le délégué à l’égard du délégataire.

Source : BRDA, 2/05, page 9