CASS. COM. 26 Novembre 2002

Les paiements au prêteur, résultant d’une délégation de loyers, continuent-ils à être versés, dans l’hypothèse d’une ouverture de procédure collective à l’encontre de l’emprunteur délégant ?

Note de M. Henri HEUGAS-DARRASPEN :

La délégation de loyers est souvent utilisée à titre de garantie complémentaire, pour conforter une sûreté réelle en général, par les établissements de crédit pour financer les projets immobiliers destinés à un investissement locatif. L’emprunteur (délégant) consent au prêteur (délégataire) qui finance le projet d’investissement locatif ou des travaux sur les immeubles locatifs, une délégation de loyers dus par les locataires (délégués).

En l’espèce, la société C. a consenti à une Société d’Economie Mixte (SEM) un prêt pour financer un projet d’investissement immobilier locatif suivant acte notarié du 19 juin 1989, ledit acte comportant une délégation des loyers dus par la société R. au titre d’un contrat de crédit bail.

La SEM n’ayant pas réglé des échéances du prêt, la société C. prêteuse a notifié le 8 septembre 1993 à la société R. une demande de règlement des loyers en exécution de la clause de délégation ; le 18 octobre 1993, la SEM était mise en redressement judiciaire, convertie bientôt en liquidation judiciaire.

Et la société C. a fait appel du refus de la délégation des loyers à son profit (décision du juge de l’exécution du 9 juin 1995).

Le liquidateur et la société R. ont fait appel de l’arrêt de la Cour d’Appel de Besançon (1er juin 1999) faisant droit à la demande de versement des loyers à la société C., en soutenant en particulier que la Cour d’Appel avait violé l’article 33 de la loi du 25 janvier 1985 relative au redressement et à la liquidation judiciaire des entreprises (devenu l’art. L. 622-16 Code de Commerce), c’est-à-dire l’interdiction faite au débiteur de payer toute créance antérieure au jugement d’ouverture de liquidation.

La Haute juridiction rejette le pourvoi, en retenant que la Cour d’Appel « a exactement retenu que les dispositions de l’article 33 de la loi du 25 janvier 1985 ne s’appliquent qu’aux paiements faits par le débiteur et non par un tiers.« 

La même chambre de la Cour de Cassation avait retenu précédemment une solution contraire : la délégation du paiement des loyers laisse subsister la créance de la société délégante qui n’est pas sortie de son patrimoine, « ce qui a permis d’un côté au liquidateur de la SCI de revendiquer les sommes consignées représentant les loyers dus et de les détenir en vertu de l’ordonnance du juge commissaire » (Cass. Com., 29 avr. 2002).

Peut-être faut-il y voir un début de changement de jurisprudence, s’inscrivant dans la tendance de l’arrêt de la chambre mixte de la Cour de Cassation du 22 novembre 2002 « Mais attendu qu’il résulte … que la saisie-attribution d’une créance à exécution successive, pratiquée à l’encontre de son titulaire avant la survenance d’un jugement portant ouverture d’un redressement ou d’une liquidation judiciaires de celui-ci, poursuit ses effets sur les sommes échues en vertu de cette créance, après le jugement » ?

Source : RDI, 2003 n° 4 page 339