Le sort de la créance du délégant sur le délégué en cours de délégation.
Note de M. Christophe LACHIEZE :
La délégation est l’opération par laquelle une personne, le délégué, s’engage à la demande d’une autre personne, le délégant, envers une troisième personne, le délégataire.
La délégation peut être conclue en l’absence de toute créance du délégant sur le délégué (Cass. com., 21 juin 1994) mais, le plus souvent, cette créance existe bel et bien.
La créance du délégant est destinée à s’éteindre à la suite de l’exécution par le délégué de son obligation nouvelle envers le délégataire, mais la question qui se pose est celle de savoir quelle est sa situation pendant la délégation, c’est-à-dire pendant que le délégué est tenu à l’égard du délégataire.
Cette question n’étant pas réglée par le Code civil, c’est à la jurisprudence qu’il revient de dégager les règles applicables.
La chambre commerciale de la Cour de cassation a décidé que le délégataire dispose d’un « droit exclusif à un paiement immédiat par le délégué » et que donc « ni le délégant, ni ses créanciers ne peuvent, avant la défaillance du délégué envers le délégataire, exiger paiement » (Cass. com., 16 avr. 1996).
Par cet arrêt rendu le 14 février 2006, la chambre commerciale apporte des précisions.
Aux termes d’une délégation conclue le 6 décembre 1991, la société Elisa a donné instruction à sa locataire, la société Autopolis, de verser les loyers commerciaux à l’établissement qui avait prêté les fonds nécessaires à l’acquisition du bien loué, la BNP, laquelle a accepté sans renoncer à sa créance contre la société Elisa.
La délégation imparfaite ainsi conclue a permis de constituer une garantie au profit de la BNP, délégataire, puisque l’obligation de la société Autopolis, déléguée, est venue s’ajouter à celle de la société Elisa, délégant.
Quelques années plus tard, la société Autopolis a été condamnée à payer au vendeur de l’immeuble, la SIVN, qui avait été mise en liquidation judiciaire, le solde du prix de vente de l’immeuble et le liquidateur de la SIVN a fait pratiquer une saisie-attribution entre les mains de la société Autopolis.
Il s’agissait de savoir si la créance du délégant peut faire l’objet d’une saisie-attribution de la part d’un créancier du délégant ? La Cour d’appel a répondu par la négative, ordonnant la mainlevée de cette saisie-attribution.
Le liquidateur de la SIVN s’est pourvu en cassation.
La chambre commerciale de la Cour de cassation approuve la Cour d’appel d’avoir ordonné la mainlevée de la saisie-attribution.
La Haute juridiction reprend la solution posée dans l’arrêt du 16 avril 1996, suivant laquelle le délégataire a un droit exclusif à un paiement par le délégué jusqu’à une éventuelle défaillance de celui-ci, puis elle décide que l’arrêt attaqué retient « à bon droit » que « les sommes dues par le délégué, la société locataire Autopolis, au délégant, la société bailleresse Elisa, au titre des loyers n’étaient pas saisissables par les créanciers du délégant dont le droit de créance qui demeure dans son patrimoine est indisponible à compter de l’acceptation du délégataire« .
La Cour de cassation adopte ainsi une position claire sur la question du sort de la créance du délégant en cours de délégation.
La créance du délégant devient indisponible et insaisissable aussitôt que le délégataire accepte l’engagement du délégué, et cette créance redevient disponible et saisissable en cas de défaillance du délégué envers le délégataire.