Justifie légalement sa décision, une cour d’appel qui, après avoir rappelé que les sociétés civiles peuvent cautionner la dette personnelle de leur associé, dès lors que la décision a été prise à l’unanimité, et relevé que les cautionnements consentis par les sociétés civiles agricoles l’avaient été en garantie d’un prêt consenti par la banque à M. V., personnellement, pour les besoins de son activité de marchand de biens, sans rapport direct ou indirect avec l’objet social des sociétés civiles, qui n’avaient aucun intérêt à cautionner ce prêt, dont la faible partie qui leur a été consacrée n’a servi, en désintéressant des créanciers inscrits, qu’à permettre la levée d’hypothèques et ainsi l’inscription sur leurs biens du privilège de la banque à un rang favorable, et que si l’unanimité de leurs associés avait approuvé la décision de cautionner la dette personnelle de M. V., celui-ci, avec son épouse, disposait directement ou indirectement de la totalité des votes, retient que la défaillance de M. V. dans le remboursement des prêts était déjà avérée lorsque la banque a sollicité la caution hypothécaire des sociétés civiles, qu’il n’avait réglé les échéances des prêts, ni en principal, ni en intérêts et qu’il avouait être dans l’impossibilité de procéder à l’époque au remboursement des sommes dues ; qu’il était donc quasiment certain dès ce jour que la garantie des cautions serait amenée à jouer, ce qui établit la collusion frauduleuse entre la banque et le débiteur pour opérer un transfert des charges de l’emprunt sur les sociétés civiles, par le biais de la caution hypothécaire et ce, au détriment des créanciers des sociétés civiles.
Note de M. HOVASSE : L’arrêt rendu le 14 décembre 1999 par la chambre commerciale de la Cour de Cassation a trait aux cautionnements donnés par les sociétés civiles pour la garantie d’engagements personnels de leurs associés.
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Les sociétés civiles ont été placées en redressement judiciaire et le représentant de leurs créanciers a invoqué et obtenu la nullité des cautionnements qu’elles avaient donnés, au motif qu’ils avaient été consentis en fraude des droits des créanciers sociaux. La Cour de Cassation rejette le pourvoi. Elle admet le principe qu’une société peut cautionner la dette personnelle d’un associé, dès lors que la décision a été prise à l’unanimité, sous réserve de la fraude, qu’elle estime établie en l’espèce.
La solution adoptée est importante par ses implications pratiques. Les sociétés civiles sont, le plus souvent, des instruments de gestion patrimoniale et leurs associés n’entendent pas se priver du crédit que les biens dont elles sont propriétaires permettent de se procurer. C’est ainsi que les associés des sociétés civiles usent du cautionnement de celles-ci pour financer l’acquisition de leurs parts, voire tous autres emprunts à caractère personnel. Mais fussent-elles transparentes, les sociétés civiles n’en sont pas moins des personnes morales, dotées d’un patrimoine distinct de celui de leurs associés.
Le cautionnement donné par une société, alors qu’elle n’y a aucun intérêt, est une menace pour les créanciers sociaux : ils vont subir, sans contrepartie, la concurrence de créanciers totalement étrangers à l’activité sociale. La solution consacrée par l’arrêt commenté admet cette conséquence, sous réserve qu’elle ne procède pas d’une fraude aux droits des créanciers sociaux. Ce correctif a toujours été formulé par les chambres civiles. L’arrêt commenté en propose une illustration. La fraude consiste à utiliser sciemment le cautionnement pour permettre à des créanciers personnels des associés d’appréhender l’actif social en concours avec les créanciers sociaux et à leurs dépens. En l’espèce, la fraude ne faisait aucun doute. La banque a sollicité le cautionnement des sociétés civiles, alors que la défaillance du débiteur principal était avérée et qu’elle la connaissait. Alors qu’elle ne pouvait que saisir les parts de son débiteur, elle a pu obtenir, grâce au cautionnement, la faculté d’appréhender les actifs sociaux. En d’autres termes, le cautionnement frauduleux est celui auquel les associés ont consenti dans le seul but de permettre à leur créancier personnel de contourner l’autonomie patrimoniale de la société tenant à sa personnalité morale. Ce correctif est indispensable pour que la solution qui est, à présent, celle de toutes les chambres de la Cour de Cassation, n’affecte pas trop gravement les droits des créanciers sociaux, mais le remède n’en comporte pas moins des imperfections qui peuvent laisser subsister leurs craintes.