Revirement de jurisprudence : une servitude conventionnelle devenue inutile doit cesser.
Note de M. Marc BRUSCHI :
Jusqu’à cet important arrêt de la troisième Chambre civile de la Cour de cassation du 9 Juillet 2003, la jurisprudence décidait d’une manière très claire et très stable qu’une servitude conventionnelle, même inutile, devait survivre (Cass. 1re civ., 13 mai 1959 ; Cass. 3e civ., 3 nov. 1981).
Même l’aggravation de la condition du fonds servant n’était pas jugée comme une cause d’extinction de la servitude conventionnelle (Cass. 3e civ., 7 nov. 1990).
Selon la Cour de cassation en effet, « le titre fixe définitivement l’étendue de la servitude et ses modalités d’exercice qui ne peuvent être modifiées que d’un commun accord entre les propriétaires des fonds dominant et servant » (Cass. 3e civ., 7 mars 1984).
En l’espèce, une Cour d’appel avait accepté de constater l’extinction d’une servitude conventionnelle de passage qui grevait un fonds au profit d’une autre parcelle.
La Cour de cassation a approuvé le raisonnement des juges du fond qui avaient relevé que l’acte instituant la servitude de passage précisait bien que celle-ci était destinée à permettre au vendeur d’accéder au surplus de son tènement à l’Est.
Ainsi, la servitude n’avait été créée qu’en vue d’assurer au vendeur une desserte pour un atelier qu’il avait conservé, mais qui était devenu depuis la propriété d’un tiers. De plus, le fonds dominant avait été divisé en deux parcelles dont l’une avait été acquise par des propriétaires qui n’éprouvaient plus le besoin d’en user.
Les propriétaires actuels du fonds servant faisaient donc valoir que la servitude avait disparu faute d’objet.
La Cour de cassation a estimé alors qu’une servitude « dont il résultait qu’elle était affectée, selon l’acte constitutif, à une destination déterminée, était éteinte dès lors que les choses se trouvaient en tel état qu’on ne pouvait plus en user conformément au titre ».
Certes, on ne saurait accepter que le propriétaire du fonds servant puisse unilatéralement supprimer la servitude dont profite son voisin.
C’est la raison pour laquelle on prendra soin d’observer que la Cour de cassation insiste sur la destination de la servitude qui avait été déterminée dans l’acte constitutif pour identifier le critère de disparition de l’utilité : il s’agissait moins en l’espèce de juger la perte d’utilité que de constater la non-conformité de l’usage par rapport à ce que les parties avaient défini dans l’acte constitutif de la servitude de passage.
Le juge est donc invité à apprécier la portée dans le temps de l’intention initiale des parties afin de ne pas porter atteinte non plus au principe de fixité des servitudes.