Le locataire bénéficiaire d’une clause d’exclusivité qui lui a été consentie par son bailleur est en droit d’exiger que ce dernier fasse respecter cette clause par ses autres locataires, même si ceux-ci ne sont pas parties au contrat contenant cette stipulation.
Note de M. Yves ROUQUET :
Le bailleur qui a stipulé dans un contrat de location une clause d’exclusivité à l’égard de l’un de ses locataires s’engage, c’est une évidence, à ne pas consentir de bail à un autre preneur souhaitant exercer la même activité (sur les conditions de validité d’une clause d’exclusivité, V. art. L. 330-1 s. c. com.).
A défaut, il devra répondre du trouble de jouissance subi par le bénéficiaire de la clause (V. notamment Cass. com. 24 mars 1966 ; Cass. 3e civ., 28 mai 1974).
La question soulevée par l’affaire ayant débouché sur cet arrêt du 4 mai 2006 est de savoir si, au-delà des dommages et intérêts qui vont lui être alloués au titre de ce trouble de jouissance, le preneur bénéficiaire de la clause d’exclusivité peut obtenir du bailleur qu’il oblige le second locataire à respecter ladite clause.
Face à un colocataire bravant l’interdiction inscrite dans son bail d’exercer un commerce concurrent, la réponse est évidemment positive.
Le bailleur devra même agir avec célérité, faute de quoi le bénéficiaire de la clause pourra lui reprocher son inertie et poursuivre le contrevenant, soit sur le terrain de la faute quasi délictuelle (Cass. com. 12 mars 1991), soit directement en raison d’une stipulation pour autrui, dès lors que les trois conditions requises par l’article 1121 du Code civil seront réunies (volonté d’une telle stipulation, désignation d’un tiers bénéficiaire et caractère accessoire de cette stipulation : Cass. 3e civ., 4 févr. 1986).
En revanche, lorsque, comme au cas particulier, le locataire exerce un commerce concurrent en vertu d’une clause contractuelle en bonne et due forme, le preneur titulaire de la clause d’exclusivité ne pourra demander au bailleur de faire cesser la concurrence dommageable par lui créée, ce, en raison des droits acquis par ce locataire (Cass. com. 24 mars 1966). Il ne pourra pas d’avantage agir contre ce dernier.
Il sera toutefois, comme le précise l’arrêt du 4 mai 2006, « en droit d’exiger que (le bailleur) fasse respecter cette clause par ses autres locataires« .
La contradiction n’est qu’apparente puisque la clause d’exclusivité pourra faire valoir son droit à réparation auprès du bailleur.
Concrètement, le locataire va pouvoir obtenir l’allocation d’importants dommages et intérêts (approuvant une Cour d’appel pour avoir multiplié par dix le quantum alloué par les premiers juges et pour avoir supprimé la condamnation du locataire concurrent à cesser son activité, V. Cass. 3e civ., 24 mars 1966).
Par ailleurs, la résiliation du contrat de location aux torts exclusifs du bailleur n’est pas exclue (Cass. 3e civ., 28 mai 1974).