Est constitutif d’une fraude au droit de préemption de la commune le bail emphytéotique conclu pour une durée de 99 ans et assorti d’un pacte de préférence dans des circonstances où les intentions de la commune étaient connues des parties.
Note de M. Philippe BENOIT CATTIN :
Pourquoi se priver du contrat le plus ancien, le plus simple et sans doute le plus répandu au monde, l’échange, lorsqu’il satisfait pleinement les parties, si ce n’est parce que son équilibre parfait risque d’être rompu par l’exercice du droit de préemption. En l’espèce, la SNCF envisageait de procéder à un échange de terrains pour les besoins de la création d’une ligne de TGV, mais les terrains cédés par l’établissement public étaient soumis au droit de préemption de la commune, dont l’intention d’acquérir était connue depuis plusieurs années. L’échange s’en trouvait paralysé, celui-ci s’analysant comme une double mutation qui ne peut être conduite à son terme que si aucun des immeubles ne fait l’objet d’une décision de préemption (Rép. min. Jacquat : JOAN 15 déc. 1997). Les parties décidaient alors de conclure un bail emphytéotique sur les terrains appartenant à la SNCF, bail assorti d’un pacte de préférence au profit du preneur, qui inspire l’attendu suivant à la troisième chambre civile :
- Mais attendu qu’ayant relevé que la SNCF et M. X… avaient conclu le bail après avoir pris conscience de ce que l’échange des parcelles nécessaires au projet de la ligne TGV avec les terrains litigieux se heurtait à l’obligation d’une déclaration d’aliéner, laquelle faisait jouer le droit de préemption prioritaire de la commune dont les intentions étaient connues de la SNCF et affichées pour avoir été soumises à l’approbation du conseil municipal en 1987 ; que l’intérêt bien compris des parties passait par le sacrifice des droits de cette commune et permettait à la SNCF de différer la notification de cette déclaration, dans le but de mener à bien son projet et que la signature d’un bail emphytéotique d’une durée maximale, assorti d’un pacte de préférence, assimilable, dans ce contexte, à une vente déguisée, démontrait la fraude, la cour d’appel qui n’a pas fondé sa décision sur les dispositions de l’article 1167 du Code civil a, par ces seuls motifs, légalement justifié sa décision.
A l’évidence deux facteurs ont pesé lourd dans la décision : la durée du bail et le pacte de préférence consenti au preneur qui, s’il n’était pas de nature à faire obstacle au droit de préemption de la commune sur le terrain grevé du bail, traduisait la véritable portée de l’opération. Il serait pourtant erroné de croire que la conclusion du bail n’aurait pas suffi à elle seule à conclure à la fraude : le raisonnement a contrario n’a, s’agissant d’une appréciation des circonstances de chaque espèce, aucune valeur probante ni même d’exemple.
Si les circonstances démontrent que la technique utilisée n’a eu d’autre objet que paralyser ou entraver l’exercice du droit de préemption la menace de nullité pèse lourdement sur l’opération.