CASS. CIV. 3è, 4 mai 2000

Viole l’article 30-1, alinéa 1er, du décret du 4 janvier 1955, la Cour d’appel qui, pour rejeter une demande en nullité d’un commandement et en suspension de la décision d’expulsion, retient que si le transfert de propriété a eu lieu entre le bailleur et un tiers au jour de l’acte de vente, cet acte n’est devenu opposable aux tiers et donc au locataire, qu’à la date de sa publication à la conservation des hypothèques, alors que le locataire ne tenait pas du bailleur un droit concurrent soumis à publicité sur l’immeuble loué.

Note de M. GRAVILLOU :

Une société avait consenti des baux sur un immeuble lui appartenant au profit d’un preneur par contrats conclu au cours des années 1972 et 1974. A la suite de poursuites diligentées par le bailleur (pour des motifs que la décision ne nous permet pas de connaître) un tribunal d’instance par jugement en date du 24 février 1993, confirmé par un arrêt de la Cour d’appel de PARIS u 14 novembre 1994, prononça la résiliation desdits baux autorisant l’expulsion du preneur. Alors que par acte authentique en date du 27 mars 1995 publié à la conservation des hypothèques le 12 mai 1995, la société bailleur avait vendu l’immeuble objet du litige locatif (dont les baux étaient désormais résiliés mais dont le preneur était toujours dans les lieux) à un tiers acquéreur, ladite société a fait délivrer au preneur toujours en place, par exploit du 13 avril 1995, un commandement de quitter les lieux en exécution du jugement d’expulsion du 24 février 1993, suivi d’un procès-verbal de tentative d’expulsion dressé le 10 mai 1995.

Procès ; le preneur faisant valoir, pour demander la nullité tant du commandement d’avoir à quitter les lieux que du procès-verbal de tentative d’expulsion, qu’en raison de l’acte de vente intervenu le bailleur vendeur n’avait plus qualité pour agir aux dates des 13 avril et 10 mai 1995 comme n’étant plus propriétaire de l’immeuble depuis la date de signature de l’acte authentique de vente, soit le 27 mars 1995. 

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Par décision du 9 juin 1998, la Cour d’appel de PARIS, au visa de l’article 30-1, alinéa 1er, du décret du 4 janvier 1955, rejette cette demande aux motifs que « si le transfert de propriété a eu lieu entre la société JC R (propriétaire bailleur) et M. S. (acquéreur) au jour de l’acte de vente, soit le 27 mars 1995, cet acte n’est devenu opposable aux tiers et donc à M. C. (preneur) qu’à la date de sa transcription (plus exactement de sa publication) à la conservation des hypothèques soit le 12 mai 1995, postérieurement au commandement du 13 avril 1995 ». En conséquence, selon la Cour d’appel, à cette dernière date, antérieure à la publication de l’acte de vente, la société avait encore la qualité de propriétaire à l’égard notamment du preneur et donc toujours qualité pour agir et faire délivrer le commandement d’avoir à quitter les lieux et le procès-verbal de tentative d’expulsion objet du litige.

Le pourvoi formé contre cet arrêt posait indirectement une question de principe : le vendeur d’un immeuble loué peut-il opposer au locataire le défaut de publication de l’acte de vente intervenu pour le tenir à son égard inopposable ? Ou autrement formulé : le preneur à bail est-il admis à invoquer l’acte de vente intervenu malgré son défaut de publication ?

C’est dans ce contexte qu’est intervenu l’arrêt rapporté. La Cour de cassation tranche sans équivoque et d’ailleurs sans surprise en censurant l’arrêt de la Cour d’appel de PARIS par application du droit commun des obligations (et plus particulièrement du droit de la vente d’immeuble) à l’exclusion du droit de la publicité foncière qui n’était pas applicable en l’espèce. Le transfert de propriété intervenu par le seul fait de la signature de l’acte authentique de vente tant entre les parties qu’à l’égard des tiers (au sens du droit commun des obligations), le vendeur n’était en l’espèce plus propriétaire de l’immeuble depuis le 27 mars 1995 et ne disposait donc désormais d’aucun pouvoir pour faire délivrer un quelconque commandement concernant ledit bien à l’égard du preneur à bail.

Source : JCPN 2001 n° 15-16 page 737