CASS. CIV. 3è, 20 juin 2001

Les désordres affectant ces éléments d’équipement que sont les carrelages relèvent-ils de la garantie décennale ou de la garantie biennale ? La réponse dépend de deux critères :

– d’une part cet élément d’équipement est-il dissociable ou indissociable ? Indissociable, il relève de la garantie décennale de l’article 1792-2 ; dissociable, il relève en principe de la garantie de bon fonctionnement de deux ans de l’article 1792-3 ;

– d’autre part, à supposer qu’il soit dissociable, il relèvera encore de la garantie décennale de l’article 1792 si, conformément aux dispositions de ce texte, les désordres du carrelage rendent l’ouvrage dans son entier impropre à sa destination.

Telles étaient les deux questions qui se posaient dans le cas de l’espèce où, probablement plus de deux ans après la réception, le carrelage de l’hypermarché avait été affecté de désordres généralisés nécessitant sa réfection intégrale.

Un arrêt de la Cour de Paris du 16 mars 2001 avait retenu l’indissociabilité au motif que le carrelage adhérait à la chape en maçonnerie, ouvrage d’ossature, non par une colle mais par une barbotine de ciment ; d’où sa dépose impliquait une détérioration ou enlèvement de matière de ladite chape, « de sorte qu’il fait indissolublement corps avec elle », et la réfection supposait de casser non seulement le carrelage, mais également la forme de pose.

Dans la présente espèce, la solution est radicalement contraire.

La Cour de Chambéry, dont l’arrêt était soumis à cassation, avait retenu le caractère dissociable au motif que les carreaux étaient posés sur un mortier de ciment, lui-même coulé sur un film plastique déroulé sur la dalle ; ainsi, à raison de ce film plastique, le remplacement du carrelage et du mortier pouvait s’effectuer sans détérioration ni enlèvement de matière de la datte en béton.

En droit le raisonnement est impeccable au regard de l’article 1792-2. Mais en fait la différence ici faite n’est guère satisfaisante car, en définitive, dans l’un comme dans l’autre cas, c’est le carrelage qui est affecté de désordres, pas le support. A l’extrême, le même désordre affectant le même carrelage pourrait relever soit de la décennale, soit de la biennale, suivant le mode de pose choisi par l’entrepreneur ; en définitive, c’est l’entrepreneur, et non la loi, qui choisit la durée de la garantie.

Lorsqu’il s’agit d’éléments d’équipement indissociables, il suffit de démontrer que leur solidité est affectée. Tel était, semble-t-il, le cas en l’espèce puisque les désordres étaient généralisés et qu’il ne pouvait y être remédié autrement que par la réfection intégrale du carrelage.

Malheureusement, cela ne suffit pas lorsque, comme en l’espèce, l’élément d’équipement est jugé dissociable. Pour bénéficier néanmoins de la garantie décennale, il faut satisfaire à la condition posée par l’article 1792, à savoir démontrer que les dommages affectant l’élément d’équipement rendent l’ouvrage impropre à sa destination. Ainsi, en l’occurrence, le demandeur devait démontrer que les désordres du carrelage – qui avaient entraîné sa réfection – rendaient l’hypermarché impropre à sa destination.

Il s’agit là, bien évidemment, d’une question de fait qui relève de l’appréciation souveraine des juges du fond, ainsi que le rappelle l’arrêt. En l’occurrence, la Cour d’appel a considéré que l’hypermarché n’avait pas été rendu impropre à sa destination :

– parce que, contrairement à ce que soutenait Auchan, aucune pièce n’établissait que les désordres avaient été à l’origine d’un non-respect des normes sanitaires ;

– parce que l’exploitation de l’hypermarché n’avait pas été interrompue, notamment pendant les travaux de réfection, ni même rendue difficile par les désordres affectant le carrelage.

Source : RDI 2001 n° 5 page 519