Dès lors que les contrats de crédit-bail stipulent que le crédit-bailleur deviendra propriétaire des ouvrages au fur et à mesure de leur réalisation mais que, par contre, il délègue ses prérogatives de maître de l’ouvrage pour la réalisation des opérations de construction au preneur, celui-ci ayant la qualité de maître de l’ouvrage délégué, une cour d’appel justifie sa décision en retenant qu’un mandat a été donné par la société de crédit au preneur et en déduit que les constructions ont été réalisées par l’entrepreneur pour le compte des crédit-bailleurs qui étaient maîtres de l’ouvrage au moment de l’opération de construction et demeuraient propriétaires des constructions pendant la durée du crédit-bail ; elle en déduit exactement que la société de crédit-bail, en sa qualité de mandant, est tenue des actes de son mandataire dans les limites du mandat donné à celui-ci.
Note de M. Patrice CORNILLE :
On ne saurait être plus clair : la maîtrise d’ouvrage délégué en droit privé, en particulier dans son domaine de prédilection, le crédit-bail immobilier, est un contrat de mandat qui ne dit pas son nom.
Le crédit-preneur représente le crédit-bailleur et l’engage financièrement dans ses rapports avec les entrepreneurs chargés de la construction matérielle de l’immeuble, objet du crédit-bail, même si les contrats d’entreprise ne sont pas signés par la banque mais seulement par le crédit-preneur, comme en l’espèce.
Le présent arrêt, dont l’importance de la solution n’échappera pas aux banques, est destiné à la plus large diffusion.
La société crédit-preneur, futur exploitante des hôtels financés par les crédit-bailleurs, avait ici, en vertu d’un contrat de maîtrise d’ouvrage délégué, signé en son nom un marché d’entreprise qui stipulait toutefois qu’il l’était « pour le compte du maître de l’ouvrage » (c’est-à-dire des crédit-bailleurs).
N’ayant pas été entièrement réglé de ses situations de travaux, l’entrepreneur assigne en paiement le crédit-preneur mais aussi directement les crédit-bailleurs comme s’ils avaient conclu eux-mêmes le marché litigieux.
Les banques s’y opposent, se drapant dans le particularisme de l’opération de crédit-bail ; elles soutiennent en gros qu’il est inconcevable qu’elles supportent directement l’obligation de payer la construction d’un immeuble qu’il ne leur appartiendra pas au final de l’opération de crédit-bail (le crédit-preneur n’étant jamais tenu de lever l’option).
Elles soutiennent, surtout, qu’elles ont délégué leurs prérogatives de maître de l’ouvrage au crédit-preneur et qu’elles ne peuvent donc avoir la qualité de maître de l’ouvrage à la date de l’exécution des travaux impayés, seule date à laquelle il faut se placer pour apprécier qui doit payer les travaux.
Les banques soutiennent en conséquence qu’elles n’ont aucun lien de droit avec l’entrepreneur créancier, qu’elles sont des tiers au contrat d’entreprise litigieux (C. civ., art. 1165).
La Cour de cassation approuve nettement les juges du fond d’avoir rejeté cette argumentation en qualifiant en l’occurrence le contrat de maîtrise d’ouvrage délégué de véritable mandat, pour les motifs indiqués ci-dessus.
De cette délicate sélection des pouvoirs conférés par le crédit-bailleur au crédit-preneur dans la délégation de maîtrise d’ouvrage, on pouvait déduire que le crédit-bailleur qui est lié au crédit-preneur ne confère à ce dernier que la qualité de représentant juridique du maître d’ouvrage.
Le crédit-preneur passerait des contrats avec les entrepreneurs qui bénéficieraient seulement de la garantie de paiement de l’article 1799-1 du Code civil.
Le crédit-bailleur serait donc seulement tenu, comme maître d’ouvrage, par une obligation de paiement de second rang.
La présente décision montre qu’il n’en est rien et que le crédit-bailleur, maître de l’ouvrage, est bien personnellement et directement tenu de payer les entrepreneurs même si les marchés de travaux ont été conclu pour son compte mais pas en son nom par le crédit-preneur, agissant prétendument en qualité de maître d’ouvrage délégué.
Il reste toujours à rédiger une étude complète sur la maîtrise.