Le débiteur constituant de l’antichrèse peut posséder pour le compte du créancier antichrésiste.
Note de M. Daniel SIZAIRE :
L’antichrèse est une très ancienne sûreté immobilière qui se différencie de l’hypothèque par la dépossession du débiteur propriétaire de l’immeuble (ou titulaire d’un droit réel immobilier, tel le bail à construction).
1 – Si l’antichrèse est une garantie discrète, en ce sens qu’elle est peu connue, elle n’est pas pour autant sans être utilisée.
L’antichrèse, dont le dispositif peut paraître quelque peu archaïque, présente l’intérêt d’une forte garantie tenant au droit de rétention dont profite le créancier antichrésiste. Celui-ci peut retenir l’immeuble jusqu’à son complet paiement (C. civ., art. 2087, al. 1er).
L’antichrèse est opposable (à condition d’avoir été publiée) aux créanciers du débiteur et elle échappe à la procédure de purge des privilèges et hypothèques des articles 2181 et suivants du Code civil.
2 – En l’espèce une société de banque consent un prêt à une société hôtelière SHIP destiné à financer l’acquisition d’un hôtel, laquelle consent une antichrèse sur ledit hôtel, étant convenu que la Société SHIP conservera la jouissance des biens donnés en garantie, moyennant le versement, pendant douze années, d’une indemnité d’occupation.
C’est là la formule dite de l’antichrèse-bail dont la particularité est que le constituant se trouve ainsi conserver l’usage de l’immeuble objet de l’antichrèse alors que celle-ci est caractérisée par la dépossession de l’immeuble qui en est l’objet.
Or la dépossession du constituant est une condition essentielle à la validité de l’antichrèse (Cass. 1re civ., 22 mars 1966).
La question de la dépossession s’est trouvée ainsi posée à la 3e Chambre civile de la Cour de cassation, alors que la société hôtelière avait cessé le règlement de l’indemnité d’occupation prévue et ultérieurement s’était retrouvée en redressement judiciaire et qu’à cette occasion la validité de l’antichrèse était contestée par les autres créanciers pour disparition de toute dépossession du constituant (CA Papeete, 11avr. 2001).
La cour d’appel avait considéré que l’antichrèse était une sûreté impliquant, au-delà de l’acte juridique qui la constitue, une action positive continue de son bénéficiaire caractérisant la dépossession du débiteur ; que le droit de rétention dont bénéficie l’antichrèse n’est que la conséquence de cette dépossession qui ne peut être interrompue.
Au visa de l’article 2228 du Code civil, ensemble les articles 2085, 2086, 2231 et 2240 du Code civil ; attendu que la possession et la détention ou la jouissance d’une chose ou d’un droit tenu ou exercé par son titulaire ou par un autre qui la tient ou qui l’exerce en son nom ; la 3e chambre civile casse et annule au motif :
- Qu’en statuant ainsi, alors que la société SHIP, qui avait cessé de régler les indemnités d’occupation, continuait cependant à posséder pour le compte de l’antichrésiste et que l’absence d’action de ce dernier contre elle n’avait pas mis fin à cette possession, la cour d’appel a violé les textes susvisés.
L’arrêt rapporté retiendra particulièrement l’attention.
D’une part, il confirme le dispositif antichrèse-bail admis par une certaine doctrine (G. Marty, P. Raynaud et Ph. Jestaz, Les sûretés, la publicité foncière, Sirey 2e éd. 1987, n° 110. – Marty et Raynaud, Droit civil, tome 3, 1971, n° 110) qui se trouve ainsi avalisé.
D’autre part, l’arrêt écarte l’exigence de la Cour d’appel d’une manifestation continue de sa possession par l’antichrésiste.