CASS. CIV. 3è, 15 décembre 1999

Dans l’affaire qui a donné lieu à l’arrêt rapporté, des voisins avaient établi en 1906, entre eux et avec la Ville de PARIS, une convention pour permettre la construction d’immeubles. Ils s’y étaient obligés envers la ville « à ménager entre eux, et à maintenir à perpétuité dans ces immeubles des cours et des courettes, en continuité, d’une certaine superficie, libres de toute construction ». Depuis, les fonds initiaux avaient été réunis entre les mains d’un seul propriétaire, puis placés sous le régime de la copropriété, les espaces libres ayant été bâtis entre-temps.

Un copropriétaire ayant demandé la démolition des constructions édifiées sur les cours et courettes, on lui opposait à la fois le droit des servitudes du fait de l’homme et celui de la copropriété. On soutenait que la servitude s’était éteinte par confusion, qu’il n’y avait plus deux fonds appartenant à des propriétaires différents, mais un seul, et pas de fonds dominant, que les cours et courettes étaient bâties depuis 1928 ce qui avait mis fin à la servitude, au moins par prescription, et que la copropriété constituée avait consommé sa disparition…

La Cour d’appel de PARIS avait néanmoins ordonné la démolition des constructions édifiées sur les cours et courettes et le pourvoi contre cet arrêt a été rejeté.

La Cour de Cassation considère que la servitude de cour commune étant « instituée dans l’intérêt de la collectivité (…), s’analysait comme une charge grevant à perpétuité le fonds (…) et s’imposait au syndicat des copropriétaires », si bien que « le règlement de copropriété de cet immeuble ne pouvait contrevenir à ce traité et que les clauses de ce règlement, contraires à la charge instituée dans l’intérêt de la collectivité, devaient être réputées non écrites ».

Note de M. BURGEL : Les servitudes de cour commune, qu’il ne faut pas confondre avec les simples cours communes en indivision entre des propriétaires voisins, sont des charges réelles constitutives d’une interdiction de bâtir ou de dépasser une certaine hauteur en construisant, à l’établissement desquelles la délivrance des permis de construire peut être subordonnée par les dispositions d’urbanisme.
…/… 

Elles ont pour objet de maintenir des espaces libres et des dégagements ou prospects suffisants entre les constructions existantes et projetées. Plus l’immeuble est haut, plus la distance qui le sépare des autres doit être importante pour garantir le maintien d’une aération et d’un ensoleillement suffisants.

Jadis établies en stipulant des servitudes « non aedificandi » dans les actes de cession entre les propriétaires concernés et avec la commune, les servitudes de cours communes ont été consacrées par le décret n° 58-1178 du 4 décembre 1958, puis par la loi n° 76-1285 du 31 décembre 1976. Elles sont maintenant régies par les articles L.451-1 et suivants et R.451-1 et suivants du Code de l’Urbanisme, parmi les règles relatives à l’acte de construire. Elles peuvent être instituées, à défaut d’accord amiable entre les propriétaires intéressés, par la voie judiciaire (C. Urb., art. L.451-1). Leur création a donc un fondement légal et est imposée par les règles d’urbanisme prescrites par les POS et, le cas échéant, les autres documents d’urbanisme en tenant lieu.

Autrement dit, la servitude de cour commune est une charge réelle perpétuelle et d’utilité publique à laquelle on ne peut déroger. Le droit privé des servitudes du fait de l’homme et de la copropriété ne saurait s’y opposer. La réunion des fonds entre de mêmes mains et « la confusion » qui entraîne l’extinction des servitudes (C. Civ., art. 705) ou la prescription extinctive (C. Civ., art. 706) sont inopérantes car l’utilité publique ne se prescrit pas.

Toute clause contraire à l’ordre public doit être réputée non écrite, fût-elle stipulée dans un règlement de copropriété. La copropriété n’est d’ailleurs qu’un mode de gestion privé des immeubles auquel les exigences de l’intérêt public s’imposent…

Source : RDI 2000 n° 2 page 147