CASS. CIV. 1ère 16 Octobre 2013

Action de la banque titulaire d’un titre exécutoire.

Note de M. Claude BRENNER :

L’application au recouvrement des crédits immobiliers de la prescription biennale de deux ans que l’article L. 137-2 du Code de la consommation impose désormais aux professionnels pour le paiement des « biens ou les services » qu’ils fournissent aux consommateurs a fait difficulté.

Mettant fin à la division des juridictions du fond sur la question, la Cour de cassation a finalement retenu que « les crédits immobiliers consentis aux consommateurs par des organismes de crédit constituent [bel et bien] des services financiers fournis par des professionnels » au sens du texte (Cass. 1re civ., 28 nov. 2012), ce qui accrédite l’analyse qui avait déjà été donnée par une réponse ministérielle du 21 avril 2009.

Craignant apparemment de se voir appliquer cette courte prescription, un établissement bancaire qui avait obtenu, à la suite d’incidents de paiement, la déchéance du terme des remboursements d’un prêt qu’il avait consenti en la forme notariée, avait formé devant le tribunal de grande instance une demande en liquidation de sa créance.

En appel, cette prétention avait été rejetée pour cette raison que l’article L. 137-2 du Code de la consommation n’a pas vocation à s’appliquer lorsque le créancier est déjà titulaire d’un titre exécutoire.

Ce motif était erroné, ce qui n’a toutefois pas empêché le rejet du pourvoi en cassation formé par l’établissement prêteur.

En vertu de l’article 3, 4° de la loi du 9 juillet 1991, devenu l’article L. 111-3 du Code des procédures civiles d’exécution, « les actes notariés revêtus de la formule exécutoire » constituent des titres exécutoires et, s’il est bien vrai que, suivant l’article 2 de la même loi, devenu l’article L. 111-2 du Code précité, le titre exécutoire doit constater « une créance liquide et exigible » pour permettre à son titulaire d’en poursuivre l’exécution forcée sur les biens de son débiteur, la liquidité requise doit être entendue souplement : au sens du droit de l’exécution forcée, une créance est liquide « lorsqu’elle est évaluée en argent ou lorsque le titre contient tous les éléments permettant son évaluation ».

C’est précisément ce qui fait toute la force, au plan des poursuites, de l’emprunt notarié par rapport au même acte souscrit sous seing privé : dès lors que le titre authentique contient tous les éléments d’évaluation de la créance du prêteur (ce qui est admis assez facilement), celui-ci peut en poursuivre l’exécution forcée, sans avoir besoin de solliciter un juge, et, quand bien même, le titre ne contiendrait pas tous les éléments nécessaires à la liquidation de la créance, son titulaire bénéficie encore, à titre de faveur, de la possibilité de recourir contre son débiteur à des mesures conservatoires (saisies ou sûretés judiciaires) sans avoir besoin de solliciter une autorisation judiciaire préalable.

Dans un cas, comme dans l’autre, l’engagement des poursuites suffit à interrompre la prescription applicable à la créance qui en est la cause.

Telle est la raison qui a permis à la Cour de cassation de rejeter le pourvoi du prêteur en substituant à la motivation des juges du fond, le motif de pur droit que « le créancier titulaire d’un titre notarié pouvant interrompre le délai de prescription par l’engagement d’une mesure conservatoire ou d’une mesure d’exécution forcée, la volonté d’interrompre ce délai ne saurait justifier, en elle-même, l’introduction d’une action en liquidation de la créance constatée par le titre exécutoire« .

Autrement dit, pour la Cour de cassation, le créancier au titre d’un acte de prêt notarié n’a normalement pas intérêt et est donc irrecevable à agir en justice à fin de liquidation de sa créance ; il peut recourir d’emblée aux procédures d’exécution et c’est au débiteur qui contesterait la liquidité ou le montant de ses droits de saisir le juge de l’exécution de la contestation.

Source : JCP éd. Not. et im., 44/13, 1065