La banque qui, à la demande du conjoint de son client, accepte de remettre à ce conjoint le contenu du compte commet-elle une faute constitutive d’un préjudice réparable à l’égard du titulaire du compte ?
A cette question la Cour de cassation, dans un important arrêt de revirement, répond par l’affirmative.
Note de M. Vincent BREMOND :
Il y a dix ans, la Cour de cassation avait eu à juger le cas d’un mari commun en biens s’étant fait remettre par une banque le contenu du compte d’épargne logement ouvert au nom de son épouse. Celle-ci ayant attaqué la banque s’était vue répondre que, si cette dernière avait commis une faute, en revanche aucun préjudice pour l’épouse n’en était résulté, l’usage des fonds communs par le mari devant être présumé avoir été fait dans l’intérêt de la communauté et donc de l’épouse. Cette solution, dont l’accueil par la doctrine fut fort mitigé, avait été rendue sous l’empire des règles de pouvoirs issues de la loi du 13 juillet 1965, accordant au mari des pouvoirs de gestion exclusifs sur les biens communs « ordinaires ». Il restait à éprouver la même situation à l’aune de la nouvelle répartition des prérogatives conjugales consécutive à la réforme du 23 décembre 1985. C’est à cette tâche que s’est attelée la Cour de cassation, dans son arrêt rendu le 3 juillet 2001.
Les faits étaient quasiment identiques, seul le mauvais rôle de l’époux spoliateur ayant changé d’épaules, l’épouse remplaçant le mari. A la demande de cette dernière, la Caisse d’épargne et de prévoyance de la Côte d’Azur a transféré 28 Sicav monétaire du compte personnel du mari sur le compte propre de l’épouse ; le mari, dépouillé de ses actifs – communs -, exige de la banque qu’elle lui restitue la contre-valeur des titres. Celle-ci y est contrainte en première instance puis en appel. Se pourvoyant en cassation, la banque se fonde alors sur l’argumentation retenue par la Cour de cassation en 1991, à savoir l’absence de préjudice subi par le titulaire du compte. Pourtant, celle-ci ne trouve plus gré aux yeux des magistrats de la première Chambre civile qui, au terme d’un raisonnement très construit, rejettent le pourvoi.
Alors que l’on aurait pu penser que la consécration de l’égalité conjugale réalisée en 1985 serait avancée au soutien de ce revirement, c’est un raisonnement très serré en deux temps qui est retenu par la Cour de cassation. Dans un premier temps, elle s’efforce d’établir la faute de la banque : celle-ci est constituée au regard de la combinaison, d’une part des règles impératives du régime primaire, en l’occurrence le principe d’autonomie bancaire de l’article 221, dont l’absence dans l’argumentation de l’arrêt de 1991 avait surpris les commentateurs, d’autre part des règles du contrat de dépôt, qualification caractérisant les rapports du banquier avec le titulaire d’un compte de dépôt, en vertu desquelles le dépositaire n’est tenu de ne restituer les biens déposés qu’au seul déposant. Dans un second temps, la Cour de cassation approuve les juges du fond d’avoir retenu l’existence d’un préjudice « résultant nécessairement pur le titulaire du compte du fait de la dépossession des titres ».