Le devoir de conseil de l’agent immobilier peut le conduire à conseiller à son client l’insertion d’une condition suspensive relative à la vente de son bien.
Note de M. Laurent LEVENEUR :
L’insertion dans un contrat ou avant-contrat de vente d’une condition suspensive de vente par l’acquéreur d’un bien lui appartenant semble assez rare en pratique : d’aucuns la trouvent sans doute sinon potestative, du moins dangereuse. Mais voici une décision qui ne manquera pas d’attirer l’attention des praticiens sur ce sujet… en mettant en lumière le danger que représente non pas cette condition, mais la méconnaissance de la possibilité qui existe de la stipuler.
Une telle condition est assurément licite. Sans doute l’article 1174 du Code Civil prévoit-il la nullité de toute obligation « lorsqu’elle a été contractée sous une condition potestative de la part de celui qui s’oblige ». Mais il est acquis depuis longtemps que la portée de ce texte est moindre que celle que paraît lui donner sa seule lettre.
Ne serait-ce que parce que le Code Civil accepte la validité de la condition mixte, définie comme « celle qui dépend tout à la fois de la volonté d’une des parties contractantes et de la volonté d’un tiers » (art. 1171). Aussi bien, ce que prohibe l’article 1174 est le fait de soumettre l’existence d’une obligation au pouvoir discrétionnaire de celui qui s’oblige, en la subordonnant à une condition dont la réalisation ou la défaillance dépend de la seule volonté de celui-ci.
Dans la présente espèce une personne s’était portée acquéreur, par un acte sous seing privé, d’un appartement mis en vente par l’intermédiaire d’une agence. Le même jour elle avait donné mandat à cette agence de vendre son propre appartement. Assurément les deux opérations étaient-elles liées dans son esprit.
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Mais ceci ne s’était traduit dans l’acte de vente que par un terme suspensif, l’acquéreur s’étant engagé à signer l’acte authentique et à payer le prix dès la libération des fonds provenant de la vente de son propre appartement, et au plus tard le 31 décembre de l’année en cours : bref l’exécution de l’obligation de payer le prix se trouvait suspendue jusqu’à cette date, voire à une date antérieure en cas de vente de son logement.
Arriva ce qui devait arriver : à l’échéance ultime, l’appartement de l’acheteur n’était toujours pas vendu. S’étant trouvé dans l’obligation de payer le prix, celui-ci se retourna contre l’agence et obtint de substantiels dommages et intérêts (600.000 F). Pour retenir cette responsabilité il a suffi à la cour d’appel de constater que l’agence avait manqué à on devoir de conseil auquel elle était tenue en tant que professionnel de l’immobilier : sachant que le client projetait d’acquérir un immeuble et d’en vendre un autre, elle devait l’avertir des risques d’une telle opération et « notamment l’alerter de l’incertitude de la vente de son appartement avant l’arrivée de la date prévue pour la réitération de la vente » et « lui conseiller l’insertion dans ce dernier cas d’une condition suspensive relative à la vente de son bien ».
Evidemment, encore faudra-t-il convaincre le vendeur d’accepter l’insertion d’une telle condition car la vente s’en trouvera affectée d’une incertitude : c’est le propre de toute condition. Il est toutefois possible d’atténuer l’ampleur de cette incertitude – et en même temps de supprimer quasiment toute marge de manoeuvre pour l’acquéreur -, en stipulant notamment un délai maximum de réalisation de la condition (à l’arrivée duquel les deux parties seront déliées de tout engagement si l’événement espéré ne s’est pas produit), ainsi qu’en précisant le prix auquel l’acquéreur mettra en vente son logement et surtout le montant minimal de toute offre qu’il s’oblige à accepter, voire en chargeant tel professionnel, en lequel le vendeur sous condition a confiance, de la recherche d’un acquéreur, etc…