C.E. avis, 8 Mars 2013

Effets de l’annulation contentieuse d’une doctrine sur son opposabilité à l’Administration.

Par un arrêt du 26 octobre 2011, la Cour Administrative d’Appel de Bordeaux avait soumis à l’examen du Conseil d’État les questions de savoir :

– si l’interprétation formelle de la loi fiscale, exprimée notamment dans une instruction, circulaire, ou réponse ministérielle publiées, est affectée par l’annulation pour excès de pouvoir d’une instruction administrative ultérieure de même contenu ;

– dans le cas où la première question appellerait une réponse positive, comment concilier ses effets avec les dispositions de l’article L. 80 A du Livre des procédures fiscales (LPF) en vertu desquelles un contribuable est fondé à se prévaloir de la doctrine en vigueur à la date du fait générateur de l’impôt.

Le Conseil d’État a répondu à la Cour dans les termes suivants.

Les dispositions de l’article L. 80 A du LPF n’ont ni pour objet ni pour effet de conférer à l’Administration fiscale un pouvoir réglementaire ou de lui permettre de déroger à la loi.

Elles instituent un mécanisme de garantie au profit du redevable qui, s’il l’invoque, est fondé à se prévaloir, à condition d’en respecter les termes, de l’interprétation de la loi formellement admise par l’Administration, même lorsque cette interprétation ajoute à la loi ou la contredit.

Il en résulte qu’en dépit de l’effet rétroactif qui s’attache à l’annulation pour excès de pouvoir, les dispositions de cet article permettent à un redevable, alors même que serait ultérieurement intervenue l’annulation par le juge de l’acte, quel qu’il soit, par lequel elle avait été exprimée, de se prévaloir à l’encontre de l’Administration de l’interprétation qui, dans les conditions prévues par l’article L. 80 A, était formellement admise par cette dernière.

S’agissant d’une imposition dont le fait générateur est postérieur à la date de l’annulation d’un acte renfermant une interprétation de la loi fiscale, au sens et pour l’application de l’article L. 80 A du LPF, cette annulation a en revanche pour effet de priver le redevable de la possibilité de se prévaloir de cet acte au titre de la garantie que donne l’article L. 80 A.

Tant que l’Administration n’a pas formellement abandonné une interprétation, renfermée dans un acte qui, bien qu’illégal, n’a pas été annulé, celle-ci reste invocable, en tant que cet acte la renferme, sur le fondement de l’article L. 80 A.

Il en résulte qu’un redevable peut opposer à l’Administration l’interprétation que celle-ci a formellement admise dans un tel acte, quel qu’il soit, quand bien même un autre acte, exprimant la même interprétation, aurait été annulé pour excès de pouvoir.
Les dispositions de l’article L. 80 A du LPF ne permettent de se prévaloir d’une interprétation de la loi fiscale que dans son dernier état formellement accepté par l’Administration.

Le redevable n’est donc pas fondé à se prévaloir de l’interprétation initialement admise par l’Administration dans un premier acte lorsque, après qu’elle l’avait complétée ou modifiée par un deuxième acte, ce dernier a été annulé.

En effet, les éléments de l’interprétation de la loi qui subsistent après l’annulation ne peuvent plus être regardés comme constituant l’interprétation de la loi formellement acceptée par l’Administration, dès lors que celle-ci avait entendu compléter ou modifier cette interprétation par l’acte annulé.

Il appartient à l’Administration de faire connaître, le cas échéant, l’interprétation qu’elle entend donner à la loi après l’annulation opérée.

Tant qu’une nouvelle interprétation n’a pas été exprimée, la loi seule régit la situation du contribuable.

Source : JCP éd. Ent. et aff., 12/13, 233