C.E. 30 Juillet 2003

La création d’un cinéma multiplexe peut être légale nonobstant un risque d’écrasement de la petite entreprise si ce risque est compensé par des effets positifs en matière de concurrence, d’aménagement du territoire et de satisfaction du consommateur.

Note de M. Rémy SCHWARTZ :

La loi Royer du 27 décembre 1973 a été étendue à la création et à l’extension d’ensemble de salles de cinéma par l’article 89-3° de la loi du 12 avril 1996. Ainsi, les projets d’extension de salles de cinéma ayant déjà atteint le seuil de 1500 places ou devant le dépasser par la réalisation du projet sont soumis à une autorisation de commissions spécialisées (art. 36-1 modifié, loi Royer).

Les principes retenus et les modalités de leur mise en œuvre sont identiques à ceux existant en matière de création d’ensembles commerciaux :

– si le projet n’a pas pour effet d’entraîner un « écrasement de la petite entreprise et un gaspillage des équipements commerciaux« , l’autorisation est légale.

– si, par contre, existe un risque d’écrasement de la petite entreprise, l’autorité administrative doit vérifier sous le contrôle du juge, si les autres principes posés par le législateur (aménagement du territoire, emploi, concurrence, satisfaction des besoins des consommateurs à titre principal) ne permettent pas de compenser les conséquences négatives du projet sur la petite entreprise. L’autorisation n’est légale que si les effets positifs au regard de ces autres principes l’emportent sur les effets négatifs en ce qui concerne le principe fondamental de non-écrasement de la petite entreprise (CE, 30 déc. 2002).

En matière d’équipement commercial, le risque d’écrasement de la petite entreprise s’apprécie au regard du critère de la densité commerciale, c’est-à-dire du nombre de mètres carrés de grandes surfaces pour 1.000 habitants. Normalement, lorsque le projet a pour effet d’entraîner un dépassement des moyennes départementales et nationales, le juge retient un risque d’écrasement de la petite entreprise.

L’autorité administrative et le juge ont transposé ce raisonnement à la création de salles de cinéma, le critère retenu étant alors le nombre de fauteuils par habitants. Mais ce critère de densité, auquel le juge a donné un poids décisif en matière d’équipement commercial pour mesurer le risque d’écrasement de la petite entreprise, n’a pas la même portée en matière de création de places de cinéma pour deux raisons.

D’une part, la concurrence peut se faire uniquement entre grands groupes cinématographiques, sans que dans la zone concernée existent des salles indépendantes et donc une petite entreprise au sens de la loi. Il n’y a pas, alors, de risque d’écrasement de la petite entreprise.

D’autre part, dans ce secteur du cinéma, l’élasticité de la demande par rapport à l’offre a été très forte au cours de ces dernières années, bien plus forte que celle existant dans le secteur alimentaire par exemple. La création de multiplexes a suscité une demande nouvelle, relativisant les densités existantes. C’est sans doute pour ce secteur, que les effets positifs liés à la création d’un grand complexe peuvent l’emporter sur le risque d’écrasement de la petite entreprise.

Source : Droit Administratif, Novembre 2003 page 37