Le Conseil d’Etat fixe explicitement la hiérarchie des critères en vertu desquels les autorisations d’exploitation commerciale peuvent être refusées.
Note des Monsieur BOUYSSOU :
Par un important arrêt, qui doit être publié au Recueil Lebon et qui prend figure de solution de principe, puisque son considérant principal est littéralement reproduit un mois après par le Conseil d’Etat (CE, 19 juin 2002), le Conseil d’Etat confirme, mais cette fois de manière explicite, les critères en vertu desquels les autorisations d’exploitation commerciale peuvent être refusées.
« Les commissions d’équipement commerciaux statuent en prenant en considération :
1. L’offre et la demande globale pour chaque secteur d’activité pour la zone de chalandise concernée ;
2. La densité d’équipement en moyennes et grandes surfaces dans cette zone ;
3. L’effet potentiel du projet sur l’appareil commercial et artisanal de cette zone et des agglomérations concernées, ainsi que l’équilibre souhaitable entre les différentes formes de commerce ;
4. L’impact éventuel du projet en termes d’emplois salariés et non salariés ;
5. Les conditions d’exercice de la concurrence au sein du commerce et de l’artisanat ».
Il a souvent été relevé le caractère pour partie antinomique entre ces différents paramètres, de sorte que les commissions paraissaient avoir un choix, quasi souverain, pour refuser ou autoriser l’implantation commerciale considérée et, malgré un contrôle normal du juge administratif, ne se limitant pas à l’erreur manifeste d’appréciation (CE, 27 juin 1979), la liberté des commissions d’équipement commercial paraissait extrême, au point qu’on pouvait douter de la permanence de la jurisprudence, qui n’avaient véritablement censuré que « l’écrasement de la petite entreprise ou le gaspillage des équipements commerciaux ». Les commentateurs relevaient en effet, même après la loi du 29 janvier 1993 ajoutant le souci de l’environnement ou celle du 5 juillet 1996 ajoutant les considérations d’emploi, que le critère prépondérant du contrôle juridictionnel demeurait comme précédemment l’évolution démographique et la densité des grands commerces dans la zone de chalandise ;
Le caractère prépondérant de ce critère est cette fois affirmé par l’arrêt rapporté, d’une manière explicite :
Pour l’application de ces dispositions combinées, il appartient aux commissions d’équipement commercial, sous le contrôle du juge de l’excès de pouvoir, d’apprécier si un projet soumis à autorisation est de nature à compromettre, dans la zone de chalandise intéressée, l’équilibre recherché par le législateur entre les diverses formes de commerce et, dans l’affirmative, de rechercher si cet inconvénient est compensé par les effets positifs que le projet peut présenter au regard notamment de l’emploi, de l’aménagement du territoire, de la concurrence, de la modernisation des équipements commerciaux et, plus généralement, de la satisfaction des besoins des consommateurs.
Ainsi, c’est le critère socio-économique qui est mis en avant, avec une formulation en quelque sorte négative : le juge contrôle d’abord si l’équilibre commercial est compromis entre les diverses formes de commerce. Cette formulation comporte à nos yeux un rappel implicite du principe de la liberté du commerce. Contrairement à une opinion répandue dans certains milieux politiques ou consulaires, la nécessité d’une autorisation d’exploitation commerciale ne relève pas d’un bon plaisir, voire d’une démarche corporative ou d’un quelconque passe-droit. Malgré la nécessité procédurale d’une autorisation, la liberté d’établissement demeure, et le refus de l’autorisation implique que l’équilibre voulu par le législateur entre les diverses formes de commerce soit compromis. En revanche, si tel est bien le cas, le juge recherche, mais dans un second temps seulement, si cet inconvénient est compensé par les effets positifs du projet sur les autres critères de l’autorisation (emploi, aménagement du territoire, modernisation des équipements commerciaux).