Prescription du droit de reprise en matière de redevance sur les bureaux en Île-de-France.
Note de M. Marc PELLETIER :
A la suite d’un procès-verbal du 11 mai 2000, constatant que des locaux situés au sein du CNIT de la Défense avaient été transformés en bureaux sans permis ni déclaration préalable, la DDE des Hauts-de-Seine a notifié à la société propriétaire, le 23 août 2002, une décision l’informant de son intention de l’assujettir à la redevance pour création de locaux à usage de bureaux en Île-de-France, au taux majoré de 100 % prévu par les articles L. 520-11 et R. 520-10 du Code de l’urbanisme.
Le 23 juillet 2004, la société a été assujettie à la redevance ainsi majorée et l’imposition mise en recouvrement par un avis de mise en recouvrement du 28 juillet 2004.
Le premier jugement du Tribunal Administratif de Versailles – compétent en premier et dernier ressort – sur cette affaire a été annulé par le Conseil d’État par un arrêt du 30 juillet 2010.
A cette occasion, la Haute juridiction a mis un terme à l’imprescriptibilité du droit de reprise de la redevance lorsque celle-ci est établie à la suite d’un procès-verbal constatant la création ou la transformation de bureaux en méconnaissance des dispositions relatives aux permis de construire et aux déclarations prévues aux articles L. 520-9 et R. 422-3 du Code de l’urbanisme.
Revenant sur sa jurisprudence antérieure qui admettait qu’en cas de travaux réalisés en infraction au Code de l’urbanisme aucun délai n’était imparti à l’Administration pour établir la redevance (CE, 22 janv. 1982), le Conseil d’État a précisé qu’en pareille hypothèse, la prescription « balai » de l’article L. 186 du Livre des procédures fiscales (LPF) trouvait à s’appliquer.
Le second jugement du Tribunal Administratif de Versailles statuant sur renvoi après cassation, a également été contesté devant le Conseil d’État qui, dans le cadre de ce nouveau pourvoi, a renvoyé au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité portant sur l’article L. 520-11.
Le Conseil constitutionnel a estimé que cet article qui renvoie au pouvoir réglementaire la détermination du régime des sanctions en matière de redevance, dans la limite d’un plafond de 100 %, ne caractérise pas une situation d’incompétence négative du législateur et ne méconnaît pas, par lui-même, le principe de nécessité des peines.
Il a, en outre, indiqué que le pouvoir réglementaire n’est pas dispensé de respecter les exigences de l’article 8 de la Déclaration de 1789, invitant ainsi le juge administratif à examiner la constitutionnalité des mesures réglementaires en ce domaine, en particulier de l’article R. 520-10 du Code de l’urbanisme (Cons. const., déc., 30 mars 2012).
Dans cet arrêt du 13 février 2013, le Conseil d’État a fait droit aux prétentions de la requérante sous l’angle de la prescription.
En privilégiant cette voie radicale, le Conseil n’a pas eu à se pencher sur la constitutionnalité et la conventionalité du régime des sanctions prévues par la partie réglementaire du Code de l’urbanisme.
Le Conseil reprend le considérant de l’arrêt du 30 juillet 2010 pour rappeler que le délai de prescription applicable en l’espèce est le délai de l’article L. 186 du LPF – qui était alors de dix ans.
Il considère qu’en l’absence d’autre élément probant, cette prescription n’a été interrompue que le 23 août 2002, date à laquelle l’Administration a informé la société de son intention de l’assujettir à la redevance.
Ecartant la prescription de l’action administrative en application de l’article L. 186 du LPF, le Conseil examine ensuite la situation sous l’angle de l’article L. 80 A du LPF.
Admettant l’opposabilité de la circulaire 86-12 du ministre de l’Urbanisme du 31 janvier 1986 aux termes de laquelle le procès-verbal constatant une infraction est le fait générateur de l’imposition, la Haute juridiction combine cette interprétation avec l’obligation de délivrance de l’avis de mise en recouvrement dans les deux ans suivant l’intervention du fait générateur pour en conclure que l’action de l’Administration était prescrite, l’avis de mise en recouvrement ayant été établi en 2004 soit plus de deux ans après le procès-verbal notifié en 2000.
En cas de construction ou de transformation de bureaux en violation des règles d’urbanisme, la seule prescription applicable est celle de l’article L. 186 du LPF. Le délai de deux ans prévu à l’article L. 520-2 du Code de l’urbanisme n’a vocation à s’appliquer que dans les situations où le redevable s’est conformé aux obligations posées par le Code.
En outre, alors que, dans le cadre de l’article L. 520-2 du Code de l’urbanisme, la prescription court à compter du début des travaux, le point de départ de la prescription de l’article L. 186 du LPF est constitué par l’achèvement des travaux.
Il est, en pratique, parfois difficile d’établir la date d’achèvement de la construction ou de la transformation de bureaux réalisées sans autorisation.
Pour y parvenir, le Conseil d’État énonce « qu’en vertu des règles gouvernant l’attribution de la charge de la preuve devant le juge administratif, applicables sauf loi contraire, s’il incombe, en principe, à chaque partie d’établir les faits nécessaires au succès de sa présentation, les éléments de preuve qu’une partie est seule en mesure de détenir ne sauraient être réclamés qu’à celle-ci« .
La principale originalité de la décision tient à ce que le Conseil d’État admet qu’une circulaire n’émanant pas de l’Administration fiscale peut être valablement opposée sur le fondement de l’article L. 80 A du LPF.
L’opposabilité d’une circulaire du ministre de l’Urbanisme est, semble-t-il pour la première fois, admise en matière de redevance pour création de locaux à usage de bureaux en Île-de-France.
Sur le fond, la circulaire 86-12 ajoute manifestement à l’article L. 520-2 du Code de l’urbanisme en faisant du procès-verbal constatant une infraction au Code de l’urbanisme « le fait générateur » de l’imposition et en prescrivant la délivrance de l’avis de mise en recouvrement « dans les deux ans de la date du fait générateur« .
Le Conseil d’État rattache cette doctrine à la prescription du droit de reprise qui ressortit au bien-fondé de l’imposition – et non à la procédure – pour admettre son opposabilité, alors même que la circulaire se méprend sur la teneur de la distinction entre l’établissement et le recouvrement – en instituant un cas de « forclusion de l’action en recouvrement » qui, en réalité, est un cas de forclusion de l’action en reprise.