Examinant la compatibilité du mécanisme des cessions gratuites avec la Convention Européenne des Droits de l’Homme (CEDH), le Conseil d’Etat n’admet cette compatibilité qu’au bénéfice de la possibilité, qu’il admet au passage, d’une indemnisation dans certaines hypothèses.
Note de M. Rozen NOGUELLOU :
L’article L. 332-6-1, 2° du Code de l’urbanisme permet de subordonner la délivrance d’un permis de construire à la cession gratuite de 10% au plus de la superficie du terrain, les terrains ainsi cédés à la collectivité publique devant être affectés à la voirie. Un tel mécanisme ne devait-il pas être analysé comme une privation du droit de propriété, laquelle ne peut, aux termes de l’article 1er du Protocole n° 1 tel qu’interprété par la CEDH, être réalisée que moyennant une indemnité « raisonnable » (CEDH, 8-07-1986, Lithgow et autres c/ Royaume-Uni) ?
Le juge administratif n’a pas retenu cette analyse : il a en effet considéré que le mécanisme de cession gratuite de terrain ne constituait pas une privation de la propriété, mais une simple réglementation du droit de construire, c’est-à-dire, pour reprendre la terminologie utilisée par l’article 1er du Protocole n° 1, une « réglementation de l’usage des biens« .
Ce qui le conduit, comme le fait la CEDH, à opérer un contrôle de proportionnalité du mécanisme de l’article L. 332-6-1, 2° du Code de l’urbanisme. Le critère du « juste équilibre » est également utilisé par la Cour pour contrôler les mesures réglementant l’usage des biens mais, dans ce cas, l’indemnisation du propriétaire n’est qu’un élément à prendre en compte parmi d’autres pour déterminer la proportionnalité de la mesure.
La présentation faite du mécanisme de cession gratuite de terrains tend en effet à en minimiser les inconvénients pour le propriétaire. Le Conseil d’Etat relève ainsi que la cession gratuite de terrains est subordonnée à une demande de permis de construire, qu’elle ne s’applique qu’en cas de création de nouveaux bâtiments ou de nouvelles surfaces construites, que le pétitionnaire peut toujours renoncer à son opération, que cette obligation de cession ne peut excéder 10 % de la totalité du terrain et qu’elle doit être justifiée par un projet précis d’opération de voirie publique conforme à l’intérêt général.
Il n’en demeure pas moins que le pétitionnaire peut se trouver contrait, s’il veut construire sur un terrain qui lui appartient et qui est constructible, de céder gratuitement à l’administration 10 % de la superficie totale de ce terrain. Or, il ne dispose d’aucun élément lui permettant de savoir avec certitude, au moment où il prépare son projet, s’il sera assujetti à cette contribution particulière. D’autant moins, d’ailleurs, que la jurisprudence a admis que la possibilité d’exiger la cession n’était pas limitée aux opérations concernant des voies publiques dont l’élargissement ou la création seraient rendus nécessaires par le projet de construction en cause (CE, 29 déc. 1999).
Enfin, le Conseil d’Etat procède à une interprétation constructive et neutralisante du dispositif de l’article L. 332-6-1 du Code de l’urbanisme en admettant une possibilité d’indemnisation « dans le cas où il résulte de l’ensemble des conditions et circonstances dans lesquelles la cession a été prescrite et mise en œuvre que le propriétaire supporte, nonobstant l’avantage tiré du permis de construire qui lui a été accordé, une charge spéciale et exorbitante, hors de proportion avec l’objectif d’intérêt général poursuivi« . Le Conseil d’Etat précise que, dans la balance du « juste équilibre« , doit entrer en ligne de compte au titre des « avantages » non seulement l’avantage pour la collectivité publique – affectation de nouveaux terrains à la voirie – mais également l’avantage tiré par le propriétaire de la délivrance du permis de construire.