C.A. VERSAILLES, 7 décembre 2000

Un époux marié sous le régime de la communauté avait acquis des actions au moyen de biens communs. Après le décès de sa femme, qui avait légué à ses enfants tous ses biens en pleine proprité, ces derniers avaient demandé la désignation d’un mandataire chargé de représenter l’indivision dans une assemblée générale d’actionnaires.

Cette demande a été écartée par la Cour d’appel de VERSAILLES aux motifs qu’il n’était pas contesté que le mari avait seul la qualité d’actionnaire, puisqu’il avait acheté seul les actions et que le registre de la société ne mentionnait que lui en cette qualité. Il s’ensuivait que, si la valeur de ces actions était bien tombée en communauté, les enfants n’étaient pas pour autant en indivision avec leur père pour l’exercice des droits de vote attachés à ces actions. 

Note :

1) Cette solution repose sur la combinaison de deux motifs :

– la société, tiers à l’égard des époux, ne connaît que l’actionnaire dont le nom est inscrit en compte ;
– certes, à compter du décès d’un époux marié sous le régime de la communauté, le conjoint survivant et les héritiers du conjoint décédé se trouvent en indivision, mais cette indivision ne porte que sur la propriété des actions et non sur les droits attachés à celles-ci (participation aux assemblées, perception des dividendes, etc.), lesquels ne peuvent être exercés que par l’actionnaire dont le nom est inscrit en compte.

Le premier n’appelle pas de commentaire particulier. En tant que tiers, la société n’est pas tenue de rechercher si l’époux qui se présente comme le seul actionnaire avait bien le pouvoir de disposer des fonds utilisés pour la souscription ou l’acquisition des actions (cf. C. civ. Art. 222). 

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La seconde justification applique la distinction entre le « titre » et la « finance » opérée à plusieurs reprises par la Cour de cassation (notamment, Cass. Com. 23 décembre 1957 ; Cass. Com. 20 janvier 1971).

Si la solution retenue par la Cour d’appel paraît étayée par de solides précédents, le doute demeure car la dissociation du titre et de la finance a été établie en raison de la prise en considération de la personne de l’associé (l' »intuitu personae ») dans les sociétés civiles, les sociétés en nom collectif et les sociétés à responsabilité limitée. A notre connaissance, cette distinction n’a jamais été appliquée par la Cour de cassation pour des sociétés par actions, et il ne nous semble pas évident qu’elle soit applicable ans ce cadre.

Si l’on doit considérer qu’il n’est pas possible d’opérer cette distinction dans une société par actions, l’époux actionnaire s’expose à ce que son conjoint en cas de divorce ou les héritiers de celui-ci demandent à la société d’inscrire en compte l’indivision en ses lieu et place. En cas de contestation, la société agira alors prudemment en faisant mettre les actions litigieuses sous séquestre dans l’attente de la résolution du conflit.

2) La situation peut être la même dans le cas où l’actionnaire inscrit en compte est lié par un pacte civil de solidarité. On sait en effet que les biens autres que les meubles meublants dont les partenaires deviennent propriétaires à titre onéreux après la conclusion du pacte sont présumés indivis par moitié si l’acte d’acquisition ou de souscription n’en dispose pas autrement (C. civ. Art. 515-5, al. 2). Dès lors, si seul le partenaire qui a procédé à la souscription ou à l’achat des actions figure dans les comptes de la société et si la présomption d’indivision n’est pas écartée, les actions sont indivises entre les partenaires tout comme elles le sont entre le conjoint survivant d’un couple marié sous le régime de la communauté et les héritiers du conjoint décédé.

Source : BRDA, 2001 n° 7 page 4