Cas de perte de vue non constitutif d’un trouble anormal de voisinage.
Note de Mme Marie-Laure PAGÈS-de VARENNE :
Des particuliers font construire une maison d’habitation dans une zone urbaine en développement donnant directement sur des champs cultivés.
Quelques temps après est édifié à trois mètres de la limite séparative de leur terrain, un bâtiment à usage de bureaux sur deux niveaux d’une longueur de trente mètres.
Se plaignant d’une perte d’ensoleillement non démontrée et de vue, ils assignent alors leur voisin en indemnisation sur le fondement du trouble anormal de voisinage. Ils obtiennent alors en première instance, une indemnité à titre de dommages-intérêts.
Le voisin ainsi condamné interjette appel dudit jugement.
En défense, le propriétaire faisait valoir qu’indépendamment du trouble d’ensoleillement, le trouble apporté était excessif par sa dimension et le nombre de ses ouvertures, avançant qu’ils avaient dû consentir une baisse importante du prix de leur maison qu’ils avaient entre-temps vendue.
La Cour d’appel infirme néanmoins le jugement au motif d’une part, que la perte d’ensoleillement n’était pas démontrée, mais surtout que si « en 1987 le terrain acquis donnait directement sur des champs cultivés… il s’avérait que leur propriété située en zone urbaine en développement et plus précisément dans une zone artisanale, de sorte que la perte de la vue campagnarde pour réelle qu’elle soit n’excéd(ait) pas dans ce contexte urbain les inconvénients normaux de voisinage« .
Cet arrêt, certes d’espèce, met une fois encore en avant l’évolution jurisprudentielle relative à l’appréciation de l’anormalité du trouble en cas de perte de vue.
Que faut-il entendre par anormalité du trouble en cas de perte de vue ?
Depuis 2009, quelques arrêts sont venus réfuter la notion de trouble anormal de voisinage au prétexte d’une perte de vue considérant que ne constituait pas un trouble anormal de voisinage :
– la perte d’un avantage tenant au fait qu’une maison bénéficiait auparavant d’une vue exceptionnelle sur le parc d’une fondation sur lequel avait été édifié un nouveau bâtiment à usage de maison de retraite (CA Bordeaux, 28 janv. 2010) ;
– ou encore la perte de vue du propriétaire d’une maison individuelle atténuée par l’aménagement paysagé, végétal, extérieur du maître de l’ouvrage (CA Versailles, 20 févr. 2014).
L’appréciation de l’anormalité du trouble se fait en fonction notamment du critère de l’environnement, en l’occurrence une zone urbaine en développement et plus particulièrement une zone artisanale.
C’est donc dans cette logique que la Cour d’appel de Grenoble a considéré que si le terrain acquis donnait initialement sur des champs cultivés, la construction sur ces champs dans une zone urbaine en développement et plus précisément dans une zone artisanale, privant les propriétaires de la vue campagnarde, n’excédait pas, dans ce contexte urbain, les inconvénients normaux de voisinage.